Spécial Marche verte

«Les voies pour former un citoyen éclairé»

111VIEW : mostafa hassani idrissi, professeur de didactique de l'histoire à l'Université Mohammed V

Le «comment enseigner ?» l'a largement emporté sur le «quoi enseigner?

22 Février 2007 À 17:11

LE MATIN : Pourquoi pensée «historienne» et non pas
«historique» ?

mostafa hassani idrissi:
En histoire, il faut distinguer le sujet de la connaissance de l'objet de la connaissance.
Le sujet étant postérieur à l'objet. Est «historien» tout ce qui relève du sujet : travaux, représentation, méthode, pensée, etc. Est «historique» ce qui relève de l'objet : passé, changement, réalité, sources, etc. Voilà pourquoi je parle de pensée historienne et non pas de pensée historique.

Qu'est-ce qui vous a poussé à aborder le thème
de l'enseignement de l'histoire ?


Ce qui m'intéresse dans l'éducation en général et l'éducation historique en particulier, ce sont les voies à explorer pour former un citoyen éclairé, ouvert au changement, militant pour la démocratie, maîtrisant la pensée critique, capable de mise en perspective, ouvert sur les autres, un citoyen apte à construire son identité et à choisir ses appartenances, un citoyen apte à se ressourcer dans la mémoire ou à s'en libérer. On ne naît pas citoyen, on le devient.

Quelle évaluation faites-vous de la récente réforme de l'enseignement de l'histoire ?

Une évaluation objective de cette réforme permet de dire que, si elle se démarque nettement de la précédente et innove sur un certain nombre de points en matière d'apprentissage, elle est, cependant,
loin de satisfaire les attentes des Marocains, particulièrement sur le type d'histoire qu'on continue à vouloir leur inculquer.

La volonté d'innover des concepteurs de programmes d'histoire de 2002 s'est plus manifestée dans le souci d'exercer les élèves à la pensée historienne que dans la préoccupation de restructurer les programmes. Le «comment enseigner ?» l'a largement emporté sur le «quoi enseigner?». Des éléments d'une didactique novatrice ont servi de marketing à un discours historique aujourd'hui en grande partie dépassé.

Les manuels n'abandonnent actuellement le récit préconstruit de la «version autorisée» de l'histoire que pour créer les conditions didactiques pour que l'élève la construise
lui-même. L'abandon du manuel unique doit être synonyme de l'abandon d'une vision unique de l'histoire.

Or l'exercice à la pensée historienne ne peut se faire dans l'étouffement et l'occultation de la pluralité des points de vue et des jugements portés sur le passé.

Vous proposez dans votre livre un modèle didactique pour l'enseignement de l'histoire. De quoi s'agit-il exactement ?

Mon modèle est une contribution à la didactique de la pensée historienne à travers laquelle je souhaite : amener les pratiques en classe d'histoire à correspondre aux vœux déclarés dans les programmes d'études, proposer une transposition didactique de la pensée historienne sur la base de fondements épistémologiques clairement définis et substituer ainsi à l'approche transmissive des connaissances une approche constructiviste. Plutôt que d'expliquer quelque chose à l'élève, il s'agit de le mettre en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même.
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Intérêt pour l'histoire

Depuis quelques années au Maroc, il y a un intérêt pour l'étude de l'histoire. A partir de là, l'histoire n'est plus devenue l'apanage des spécialistes ou historiens, mais aussi l'affaire de tous, d'où le risque de manipulation.

Face à cette nouvelle donne, l'école doit rationaliser ses méthodes d'enseignement, en utilisant les instruments de la pensée historienne pour interroger le passé, en faisant recours à la didactique (discipline qui traite des méthodes et des techniques d'enseignement). En clair, l'enseignant doit posséder les bases épistémologiques pour enseigner cette discipline.

D'ailleurs, c'est ce que propose Mostafa Hassani Idrissi, professeur de didactique de l'histoire à la faculté des sciences de l'éducation à l'Université Mohammed V de Rabat, dans son livre « Pensée historienne et apprentissage de l'histoire », publié en 2005 aux éditions françaises l'Harmattan et qui vient dernièrement d'être récompensé en France par le Prix de l'Instruction publique René Devic 2007.
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