Spécial Marche verte

L'éthique médicale bafouée

Des agents de l'Etat exercent dans le privé

20 Février 2007 À 16:05

«L'éthique est l'un des fondements de l'Etat dont dépend la pérennité de ce dernier ou sa décadence…», indiquait la Lettre Royale adressée en 1999 au colloque national relatif à la consolidation de l'éthique dans le service public.

Ce message, qui devait inciter les fonctionnaires à davantage d'intégrité est tombé dans les oubliettes, car l'appât du gain a fait tourner la tête à un grand nombre d'agents publics qui n'hésitent pas à exercer dans le privé. Pourtant, le Statut général de la fonction publique de 1958 interdit à tout fonctionnaire d'exercer une activité privée lucrative, sauf dérogation. Un comportement qui engendre un double préjudice.

Primo, ces personnes ne peuvent plus fournir un travail de qualité, puisque leur esprit est ailleurs. Secundo, les acrobaties effectuées pour payer ces collaborateurs extérieurs, font perdre au Trésor public des sommes énormes en matière d'impôt général sur le revenu (IGR). Plusieurs secteurs sont visés : santé, éducation, formation professionnelle, conseil et expertise.

Dans cette liste, ce sont les médecins et les enseignants qui détiennent la palme d'or. « Il n'est un secret pour personne que médecins et infirmiers des hôpitaux publics travaillent dans les cliniques privées. Ces agents de l'Etat exploitent leurs positions dominantes pour orienter les malheureux patients vers ces cliniques où ils exercent.

Dans chacune d'elles, il y a un planning nominatif de consultations des médecins du public, établi en fonction de leur disponibilité», explique un expert marocain. Ce personnel de l'Etat propose des services à bas prix, une concurrence déloyale qui a poussé 1.500 médecins à s'expatrier.

A l'origine de cette anarchie, l'instauration en 1996 du temps partiel aménagé (TPA), qui n'existe plus depuis 2001. Mais cela n'empêche pas des praticiens de continuer d'exercer dans le privé, violant ainsi le code de déontologie médicale. Des témoignages racontent que des médecins professeurs passent plus de temps dans des cliniques privées que dans leur poste à l'hôpital public.

«Ces médecins sont difficilement identifiables lorsqu'ils exercent dans des cliniques privées. Dès qu'un contrôle est pressenti, ils sont rapidement avertis et se dérobent par les issues de secours. Le vrai contrôle doit se dérouler dans leur lieu de travail réel où on doit s'assurer de leur présence continue », dit un témoin.

Alerté par le phénomène, l'ancien Premier ministre, Abderrahmane El Youssoufi (1998-2002), a publié en 1999 une circulaire dans laquelle il demandait de s'attaquer avec urgence aux fonctionnaires qui enfreignent la loi et que toute dérogation doit être signée par la Primature. Le ministre de la Santé, Mohamed Cheikh Biadillah, a aussi adressé sa circulaire de 2003 à tous ses services leur demandant de mettre fin à ce fléau.

Mais rien ne fait plus peur à ces agents publics qui risquent gros. «Le cumul sans autorisation, tel que prévu par le statut général de la fonction publique de 1958 pourrait être interprété aujourd'hui par l'administration comme une faute grave. L'administration est en droit non seulement de traduire le fonctionnaire fautif devant le Conseil de discipline, mais de le suspendre de ses fonctions avec arrêt de la rémunération jusqu'à ce que le conseil statue sur son cas.

Selon l'article 15 du nouveau projet de loi en discussion devant le Parlement, l'administration publique pourrait poursuivre les fonctionnaires qui cumulent avec leur emploi un poste lucratif. D'après le nouveau texte, seuls deux domaines seront exceptés : recherche scientifique et littéraire», indique Abdellah Ataibi, chef de la division des statuts au ministère chargé de la Modernisation des secteurs publics.

REPÈRES
Une spécialité phare

L'anesthésie réanimation est une spécialité phare dans les pays développés.
Le nombre et la qualité de la formation des médecins anesthésistes réanimateurs (MAR) sont de nos jours un indicateur fiable du degré de sécurité des structures de santé. Au Maroc, le nombre de MAR est insuffisant.

Les standards établis à l'échelle internationale pour garantir une sécurité en anesthésie réanimation sont de 12 à 15 MAR pour 100.000 habitants. Au Maroc, il est de 1 pour 100.000 habitants.
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L'exil des anesthésistes réanimateursVoici le témoignage d'un médecin anesthésiste réanimateur ayant quitté en 2003 le Maroc : «Nous ne sommes pas moins de 15 médecins anesthésistes réanimateurs, après un retour au Maroc tant idéalisé, à avoir repris le chemin de l'exil, en moins de deux ans.

Notre calvaire est dû à l'absence d'un cadre légal régissant notre profession et l'exercice illégal des médecins anesthésistes réanimateurs des hôpitaux publics dans le secteur privé (…).
De nos jours, l'acte d'anesthésie ne doit plus être confié à des auxiliaires de santé (NDLR. infirmier, par exemple).

Aucune statistique n'est divulguée au Maroc sur la morbidité et la mortalité des actes d'anesthésie confiés à des non médecins, sachant que des accidents ont eu lieu pour des interventions simples (circoncision, accouchement, etc.)
A titre de comparaison, une sage-femme n'est pas obstétricienne, un manipulateur radio n'est pas un radiologue, un kinésithérapeute n'est pas un médecin rééducateur, un aide opératoire n'est pas un chirurgien.

Au XXIe siècle, un acte médical ne doit plus être confié à un auxiliaire de santé».
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Réaction de l'Ordre des médecinsLe président du Conseil régional de l'Ordre des médecins du centre, Abdelhouahed Ambari, réagit : «A propos des médecins fonctionnaires exerçant dans le privé, il existe une dérogation pour les enseignants chercheurs qui leur accorde la possibilité d'exercer deux demi-journées par semaine en cliniques privées dans le cadre du temps partiel aménagé (TPA).
Cette disposition devait connaître une modification en septembre 2001, quant au lieu de l'exercice.

Celui-ci devait se transférer à partir de cette date des cliniques privées aux cliniques universitaires.
Pour les enseignants du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rabat, la clinique Cheikh Zaïd était indiquée pour recevoir leur TPA, en tant que clinique universitaire.

Malheureusement à Casablanca, le problème est resté entier, puisque aucune structure répondant à la dénomination de clinique universitaire n'a été prévue.

Il est temps d'apporter une réponse en tenant compte des intérêts des différents secteurs, mais surtout des intérêts des malades qui doivent bénéficier d'une bonne prise en charge.
Cela sans oublier de garantir un encadrement valable pour les futurs médecins».
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