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«Ce n'est pas un “who's who?”»

Interview : Mouna Hachim, auteur du dictionnaire des noms de famille du Maroc

18 Février 2007 À 12:38

L'histoire sociale du Maroc à travers un regard patronymiqu

Le Matin : Comment avez-vous eu l'idée
d'un dictionnaire des noms de familles du Maroc ?


Mouna Hachim : Je suis une passionnée de l'histoire du Maroc, je lis tout ce qui me tombe sous la main concernant le sujet et particulièrement l'histoire sociale. Et c'est là où je me suis rendu compte de la profondeur de notre méconnaissance de notre passé. Déjà à l'école, on met l'accent sur l'histoire événementielle, sur les grandes dates etc, au détriment de l'histoire sociale ou de celle des idées.
Pour revenir à votre question, je dirai tout simplement que j'ai eu subitement un flash un soir : je me suis dit pourquoi ne pas aborder l'histoire du Maroc sous l'angle de la filiation patronymique ? C'est la meilleure approche pour jeter la lumière sur l'histoire sociale et culturelle du pays, en plus qu'elle intéresse tout le monde en même temps qu'elle permet d'avoir un regard global sur toutes les régions du pays, sur les diversités ethniques, religieuses et culturelles. D'Où l'idée de ce dictionnaire des noms de famille.

Pourquoi justement un dictionnaire ?

C'est la clé même de ce travail. Un dictionnaire est le meilleur moyen d'aborder le sujet. On peut aller directement à l'information qui nous intéresse sans être obligé de le lire en entier. On peut le consulter en famille, entre amis, en discuter, sans oublier que sur le plan de l'organisation, un dictionnaire permet de faire des connexions très importantes, par exemple au nom de Ouazzani on va trouver juste des informations sur la ville de Ouezzane, mais il y a des renvois par astérisque vers les noms de Alami, Idrissi, etc. pour avoir tous les détails.
De la même manière, il y a des branches sœurs, telles les Touhami, Taïbi, etc. et là encore, il y a des renvois pour compléter l'information, et en même temps ça m'évite de me répéter.

Vous avez eu recours à une impressionnante
bibliographie, mais vous avez limité votre choix
à 500 patronymes. Qu'est-ce qui justifie ce choix ?


Dès le début, il était clair dans mon esprit que je ne pouvais pas aborder une seule région du Maroc, ni, d'un autre côté, faire figurer tous les noms à travers le pays.
Il fallait donc faire un choix, d'où ces 500 cents noms, pris un peu partout à travers le pays et qui sont représentatifs de la diversité ethnique et régionale du Maroc. Dans mon esprit également, il y a la possibilité de faire une seconde édition, avec 200 ou 300 noms supplémentaires. Sur ma façon de procéder, je lis beaucoup et de manière éclectique.

Il peut s'agir d'un journal qui donne des informations sur une famille, où de classiques comme Naciri, Fechtali, Ibn Zaïdane ou encore Ibn Khaldoun, afin de comprendre le cadre général de l'histoire du pays, après quoi, j'entre dans les détails des généalogies des tribus arabes et berbères. Je lis également des portraits de personnalité célèbres, des monographies des régions dont beaucoup ont été réalisées par le protectorat au début du siècle dernier et qui donnent des éclairages très intéressants sur les différents groupements de tribus, de familles, de branches de familles, etc.

Vous dites que vous avez dû faire un choix entre
des milliers de noms. Quels étaient vos critères ?


Ce dictionnaire n'est pas un livre sur les « who's who ? », ce ne sont pas les personnes qui m'intéressent, c'est un livre sur les noms de famille, la différence est très importante, parce qu'on peut trouver des familles qui avaient des noms qui ont marqué l'histoire, mais qui l'ont changé après l'instauration de l'état civil obligatoire, et elles ont adopté des noms qui n'ont aucune résonance culturelle ou historique.

Ce ne sont donc pas ces nouveaux noms que j'ai traités. De même, il y a des noms d'une grande richesse historique, derrière lesquels on trouve des familles humbles. Par exemple, les noms El Aouni, El Aïdi ou Doukkali, ne renvoient pas systématiquement à des grandes familles, mais ça me permet de raconter une petite histoire sociale, de parler de la tribu des Aounat, des Aîdiynes ou des Doukkala, de parler des différentes ramifications, des personnalités célèbres de chacune de ces tribus.

Finalement vous avez fait l'histoire du Maroc
à travers les noms de famille


Cela a été ma démarche, en effet. Par exemple, à travers le nom de Mouaqit, vous allez savoir que l'origine de ce patronyme est le mouaqit de la mosquée, c'est-à-dire la personne chargée de fixer les heures des prières, les débuts des mois lunaires, les jours des fêtes religieuses etc.
On le voit, ce sont les noms des familles qui m'intéressent et non les personnes.
De même que le nom juif de Ben Attar renseigne sur le métier d'un ancêtre.

C'est un travail de recherche qui vous a demandé combien de temps ?

Cinq longues années, parce que je me devais d'être perfectionniste. En un mot je n'avais pas droit à l'erreur.
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Livre pratique

Unique dans l'édition marocaine en langue française, cet ouvrage tente de présenter sous la forme pratique d'un dictionnaire en un seul volume, des pans essentiels à la compréhension de l'histoire du Maroc sous le prisme des noms de famille.

Avec ses 500 patronymes étudiés, couvrant toutes les régions du pays, cet ouvrage mêle histoire, étymologie, ethnologie, biographie des porteurs notables du nom ainsi que des anecdotes inédites le concernant. Puisant dans un corpus aussi ample que varié, alliant le vaste champ de la tradition, les données modernes écrites et les témoignages vivants, il se présente sous la forme d'un dictionnaire avec exactement les mêmes avantages et le même mode d'emploi.

Classements des noms par ordre alphabétique, respectant la pluralité régionale, ethnique et sociale du pays. Il permet également des connexions multiples à travers un système simple de renvois afin de compléter les informations, tisser un maillage et éviter les redondances.

Titulaire d'un DEA en littérature comparée, Mouna Hachim est journaliste et auteur d'un premier livre, un roman sous le titre : « Les Enfants de la Chaouia ». « Le Dictionnaire des noms de famille du Maroc » est son second ouvrage.
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