Spécial Marche verte

L'enfant-roi, tyran des temps modernes

Quand les parents abdiquent, leurs bambins abusent

15 Février 2007 À 15:44

L'enfant voulu, désiré, programmé, fondateur de la famille : il ne déçoit (presque) jamais, et on se met à son service. Au nom du bonheur de nos enfants, nous craignons leur frustration, nous ne savons plus attendre leur demande, parce que nous anticipons sur leur désir. Nous ne leur laissons aucun espace de manque pour l'énoncer. Voici le cliché récurrent chez les jeunes parents : «Mon fils ne manque de rien, nous essayons de lui offrir tout ce dont il peut avoir besoin.

Malgré que nous travaillions tous les deux, nous essayons d'être aux petits soins pour lui en rentrant à la maison. Il est impossible qu'on lui refuse quoi que ce soit et pourtant il ne semble pas heureux et obtient de très mauvaises notes à l'école comme s'il voulait nous faire souffrir. C'est en tout cas ce que m'a expliqué sa maîtresse d'école», s'inquiète Fatima, maman de Illias, 7 ans. «Aujourd'hui, les membres de la famille se croisent plus qu'ils ne vivent ensemble.

Il n'y a plus qu'un seul repas commun, celui du soir. Alors les parents préfèrent avoir la paix et faire consensus autour de la pizza, réclamée par les enfants. Se voyant tout permis, ces derniers peuvent douter de l'amour de leurs parents et les interpeller en lançant des signaux d'alarme comme l'échec scolaire.Ils savent très bien que leur pouvoir d'amour est essentiel pour leurs parents. Alors, ils leur font du chantage affectif», explique Najwa Alami, psychothérapeute.

Craignant de brimer nos petits, nous avons oublié que l'autorité est essentielle à leur épanouissement. «Depuis cette fameuse phrase «l'enfant est une personne», les parents se sont mis à le traiter comme un adulte en lui demandant constamment ce qu'il veut, ce qu'il ne veut pas, oubliant que s'il est bien une personne, c'est une «petite personne» qui ne doit pas imposer son mode de vie à la famille !

Chaque renonciation de la part des parents ne fait que préparer le terrain à un nouvel abandon», confirme Noureddine Raïssi, sociologue. Et la psychologue de préciser : «Il est important de définir à l'enfant des limites claires et conséquentes, et d'imposer des sanctions lorsque celui-ci les transgresse.

La relation parents-enfants demeure, avant tout, de type hiérarchique. Sans détenir la vérité absolue, le parent doit constituer un repère solide, un modèle comportemental auquel celui-ci pourra s'identifier ou duquel il se démarquera». Après le trop de cadre, le trop d'autorité, le trop d'interdits dans lesquels ont vécu les parents d'aujourd'hui, ces derniers font vivre leur progéniture dans l'absence de cette autorité.

Tout devient possible. Et c'est ainsi que des enfants grandissent dans une illusion de toute puissance, sans aucun cadre, aucune limite ni d'autorité à respecter. Pour eux, l'essentiel réside dans la satisfaction immédiate de leurs besoins. Ce sont les enfants-rois, un phénomène des plus répandus de nos jours. «Les parents ne supportent plus à aucun moment de prendre le risque de lire dans les yeux de leur bambin le moindre reproche ou désamour.

C'est ainsi qu'on crée l'enfant-roi. Il conserve toujours les tendances au plaisir et à la facilité, appuyées par une manipulation et une volonté de contrôle que son intelligence grandissante saura raffiner au fur et à mesure de son développement», met en garde Najwa. L'enfant-roi, succédant à l'enfant gâté, a laissé place à l'enfant tyran. Des étapes qui se franchissent très rapidement.

C'est ainsi que nous voyons se développer au sein de notre société ce que les Occidentaux ont appelé «le phénomène Lolita», jusque-là répandu chez eux. «De nos jours, les petites filles ne veulent plus jouer à la poupée, elles veulent ressembler à leurs idoles : Lorie, Alizée, Priscilla… Les Lolitas sont devenues la valeur sûre», explique le sociologue.

Ces enfants-femmes sont visibles partout, à la télévision, dans les magazines, dans les films, dans les publicités. Les collégiennes d'aujourd'hui et leurs petites sœurs de 9-10 ans ne manquent de rien, sur le plan vestimentaire, pour jouer aux grandes. Elles connaissent tout de la mode et veulent être à la pointe. Et les parents, bien sûr, abdiquent et ne leur refusent rien.

Dans une boutique de prêt-à-porter au quartier Mâarif à Casablanca, un vrai conflit de générations se déclare, Chaïmaa, 12 ans, à qui sa mère propose une petite robe, lui assène: «Mais, enfin maman, je ne peux pas aller à l'école comme ça, c'est trop laid !». Ce qu'elle cherche à tout prix ? Un petit top moulant, «mais pas trop quand même», s'écrit la maman et un jean taille basse, «un peu évasé», ajoute-t-elle.

C'est-là que Chaïmaa pique une vraie colère : « Mais enfin, ce n'est pas toi qui vas porter ces vêtements, laisse-moi choisir», crie-t-elle à sa mère, honteuse, qui n'a pu que s'exécuter.

Vernis à ongles, mascara, jeans taille basse, t-shirt dévoilant le nombril, talons, paillettes, coloris «flashy», «rien n'est trop beau ni trop cher pour mon "amour de fille"», s'exclame une maman d'une fillette de 9 ans, dans un magasin dédié aux accessoires.

Au cercle des Lolitas répond le clan des garçons «lookés», «piercés» et cheveux teints, «quand on ne découvre pas avec stupeur leur dessous sous leur pantalon taille basse sans ceinture», s'exclame un directeur de collège. Technologie, satellite et laisser-aller de l'autorité parentale aidant, les bases de l'éducation et les repères de notre société risquent de disparaître petit à petit ou au contraire d'inciter au retour de trop d'interdits.

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Conseils aux parents> Ne jamais faire de gestes violents, ni physiquement ni psychologiquement, mais savoir, de temps en temps, s'opposer à l'opposition de l'enfant. Et sans se justifier toutes les cinq minutes.
> Donner des règles qui ne supportent pas la discussion, en particulier celles consacrées à l'hygiène de vie – alimentation, toilette, heure du coucher. Par contre, la couleur des chaussettes, ça se discute, comme tout ce qui ne touche pas à la santé et à la sécurité de l'enfant.
> Céder pour avoir la paix, c'est s'assurer que le stade suivant sera encore plus difficile : c'est passer du caprice à l'exigence.
> Quand on veut interdire lque chose à un enfant, il faut savoir se faire obéir sans en appeler au plaisir.
Car, chaque fois qu'on demande à l'enfant de nous faire plaisir – en se brossant les dents, en mangeant ses carottes –, on entre dans une relation de séduction dont on aura bien du mal à s'en sortir.

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La source : un roman scandale

«Lolita» est un roman de l'écrivain russe naturalisé américain Vladimir Nabokov, publié pour la première fois en 1955 en France.

Nabokov a imaginé l'histoire d'une liaison entre un homme d'âge mûr et une préadolescente avant même son départ pour les États-Unis. Dans un premier temps, l'histoire devait se dérouler en Provence.
Dès sa sortie, le roman provoqua un scandale. Pourtant «Lolita» faillit ne jamais sortir. Nabokov tenta de brûler le manuscrit inachevé quelques années auparavant, las de ne pas voir la fin de ce roman.

Le manuscrit fut refusé par tous les éditeurs américains, qui soit craignaient des poursuites judiciaires ou morales, soit souhaitaient modifier le livre dans un sens "moral". Nabokov le fit publier pour la première fois par Olympia Press en version originale, à Paris, en 1955.

Malgré un catalogue prestigieux (Jean Genet, Samuel Beckett...), la maison d'édition fondée par Maurice Girodias, le fils de Jack Kahane qui a notamment édité Ulysse de James Joyce chez Obelisk Press, est spécialisée dans l'édition d'œuvres sulfureuses, ce que Nabokov ignore en 1955. Nabokov savait qu'il allait choquer. Selon lui, l'Amérique puritaine de l'époque comporte trop de tabous, notamment la pédophilie et l'inceste abordés dans «Lolita».

Dès sa sorti en France, le roman fut censuré. La censure est levée un temps, entre 1958 et l'arrivée de De Gaulle au pouvoir. Mais entre-temps, Gallimard a publié une traduction en français.

Dès lors, la censure de la version anglaise n'est qu'anecdotique. Le livre sortira en 1958 aux États-Unis, chez Putnam et connaîtra un grand succès, restant pendant 180 jours à la tête des meilleures ventes du pays. «Lolita» sera même le premier roman, après le best-seller «Autant en emporte le vent» de Margaret Mitchell, à atteindre le seuil des 100.000 ventes en trois semaines.
Depuis, «Lolita» s'est vendu à plus de 50 millions d'exemplaires dans le monde.
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