Spécial Marche verte

Reportage : Quand le sport devient un authentique bonheur

A Aïn Sebaâ, en djellaba, manteau ou foulard, on s'entraîne à pleins poumons
Ici, il est plus qu'évident que l'habit ne fait pas le moine. Djellaba, manteau, bonnet, cache-col et sandales avec chaussettes, à première vue, on aurait cru voir quelqu'un s

10 Janvier 2007 À 16:04

Il est sept heures du matin, devant la préfecture d'Aïn Sebaâ à Casablanca. Il fait très froid, mais cette météo, quelque peu défavorable, n'a pas empêché des centaines de personnes d'investir cet espace, de plus en plus apprécié par les habitants de la région. Large espace vert aidant, les lieux sont très favorables pour pratiquer le sport, se dégourdir les jambes et passer un temps agréable.

Et justement, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il grêle, hommes, femmes, jeunes, moins jeunes et vieillards s'adonnent à leurs hobbies à cœur joie. Seuls, en duo, ou en grands groupes, chacun trouve chaussure à son pied, le but escompté étant le maintien d'un corps sain, de casser la routine et de sortir de la monotonie du quotidien.
"Cela fait cinq ou six ans que je m'entraîne ici, à raison de trois fois par semaine", souligne Hamid, sans interrompre son enchaînement de mouvements.

Pour ce retraité, visiblement en bonne forme, chaque séance dure presque deux heures: marche, étirements et puis mouvements. "Le matin est une bonne période pour pratiquer le sport. L'air est pur et les passants peu nombreux. J'arrive directement de la mosquée après avoir effectué la prière du fajr", souligne-t-il.

Détente, bien-être et bonne humeur sont la règle dans cet espace agréable. Une bouffée d'oxygène pour moi, indique cette jeune femme à l'apparence très modeste. Selon elle, pratiquer le sport tous les lundis, jeudis et samedis que Dieu fait est un rituel à ne rater sous aucun prétexte. "Je viens chercher un peu de repos pour mon âme", affirme-t-elle.

Sa copine, la soixantaine, est aussi ravie qu'elle. Elle est cardiaque et son médecin lui a conseillé de "bouger un peu". Depuis, cette mère de plusieurs enfants pratique du sport dans cet espace, plusieurs fois par semaine. Mais, pour elle, une petite marche suffit. Le reste du temps, elle contemple les athlètes et un peu de "tberguig" sur un banc avec d'autres femmes n'est pas de refus. "Ce sont les meilleurs moments de mes journées. Un peu de sport pour le corps et un peu de tberguig pour l'esprit", lance-t-elle, le regard joyeux, avec un brin de malice.

Dans l'autre partie du parc, deux grands groupes se sont formés. Le rythme est assez relevé et comme dans une classe, les athlètes des premières rangées suivent bien, ceux de derrière, essayent tant bien que mal de suivre ou "trichent" carrément.

"Je préfère faire partie d'un groupe. Comme ça, je m'investis un peu plus", explique Mohamed, en fin de séance. Le moniteur, un jeune homme sympathique, mais qui sait hausser le ton quand quelqu'un est pris en flagrant délit de triche, semble bien maîtriser son sujet.
Selon lui, cela fait plusieurs années qu'il prodigue son savoir-faire aux sportifs. Ceux qui en ont les moyens, lui donnent un peu d'argent en fin de mois. "Une façon comme une autre de gagner ma vie.

Mais personne n'est obligé de me payer", avance le moniteur. Et d'ajouter: "C'est ce qu'on appelle joindre l'utile à l'agréable. Le parc est devenu une immense salle de sport en plein air, avec ses moniteurs, ses plannings de séance et ses groupes".

Les amateurs de sport facile ne sont pas les seuls présents dans ce parc. Sous un arbre, plusieurs jeunes, apparemment de bons athlètes, effectuent des mouvements et des danses tout aussi complexes que magnifiques. A regarder l'ambiance qui règne entre eux, ils semblent tous bien dans leur corps et dans leur esprit. Yassine, la vingtaine, indique qu'ils arrivent tous d'univers sportifs différents. Viet quin dat, Viet-vodao, kung-fu, Capoeira, boxe… les appellations des danses et des arts martiaux qu'ils pratiquent sont aussi compliquées que les mouvements qu'ils effectuent.

Pour ces jeunes, qui viennent tous du tristement célèbre quartier de Sidi Moumen, le sport est un bon moyen de rester zen. "Certes, être champion en arts martiaux n'est pas très rentable en comparaison avec le football, mais c'est ce qu'on aime dans la vie", affirme Yassine. Selon son copain Hicham, leur groupe vient au parc tous les week-ends.

Le reste de la semaine est réservé aux études, au travail et aux séances d'entraînement dans de vraies salles. "Ici, dans le parc, même le gazon nous connaît", lance Hicham malgré sa timidité apparente, un large sourire aux lèvres.
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Nature, calme et sérénité

Ce sont les choses simples qui procurent le plus de bonheur. A Aïn Sebaâ, dans l'espace vert situé devant la bâtisse de la Préfecture, ce concept prend toute son ampleur. Des hommes et des femmes, des jeunes, garçons et filles, viennent pratiquer leur passe-temps favori: le sport.

Joignant l'utile à l'agréable, ils se dégourdissent les jambes, chacun selon ses capacités physiques, tout en passant de bons moments. Loin de tout pessimisme préconçu, de toutes idées réductrices et de toute frime tapageuse, des gens simples, si on ose dire, viennent prendre leur part d'un bonheur vrai, pur, inégalable. Une bouffée d'oxygène arrachée aux méandres de la vie de tous les jours.

Et qui ne coûte rien en plus. "Je viens chercher un peu de repos pour mon âme", affirme cette jeune femme. Une phrase profonde, qui donne à réfléchir sur les vraies raisons du bonheur et sur les choses vraies de la vie et qu'on semble oublier dans la course effrénée de la vie. A voir des femmes, de toutes les tranches d'âge, minces ou obèses, le pas lent, mais sans complexe aucun, essayant de courir avec leurs djellabas, foulards et espadrilles usées, force l'admiration.

A contempler des personnes âgées avec leurs manteaux, leurs cache-col et leurs bonnets se forçant à accomplir des gestes quelque peu difficiles pour leur âge, mérite le respect.

A observer des jeunes, issus de quartiers populaires où il n'est pas facile de vivre, s'adonner à toutes sortes de sports, oubliant problèmes quotidiens et autres fléaux destructeurs, donne chaud au cœur et rappelle bien que certains formes de bonheur sont encore accessibles. Et gratuitement.
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Djellaba, MP4 et Louis Vuitton

A Aïn Sebaâ (North side), le sport et la bonne humeur semblent les seules vraies motivations des athlètes du week-end. Ici, nous sommes loin, très loin de la frime d'Aïn Diab (South side).

Djellabas, foulards, tricots, survêtements ringards, espadrilles du fils, tout est bon à utiliser et l'esthétique semble le dernier des soucis de ces personnes apparemment très bien dans leur peau et dans leurs corps. Dans le South side, à l'autre extrêmité de la ville, les tendances sont bien différentes et l'heure est à la distinction. Il est aussi incroyable qu'inimaginable d'apercevoir l'ombre d'une djellaba qui cèderait la place aux joggings branchés. Ici, il semble qu' on vienne d'abord pour s'afficher, le sport vient après.

Les sportives sont très bien équipées. Trop même. Puma, New Balance, Adidas, Nike, Diadora, Kappa, les femmes rivalisent en marques de vêtements et en accessoires. Casques pour la musique, MP4 dernière génération, lunettes à la mode et surtout casquettes branchées. Celles qui préfèrent le milieu de la journée pour faire leur footing habituel doivent faire face à un autre problème: les rayons du soleil.

Outre les écrans solaires ultra protection, l'artillerie lourde entre en jeu. D'immenses couvre-chefs et de larges lunettes cachent les deux tiers du visage. Pour le tiers restant, écharpes et foulards s'en chargent. Pour les sportives d'Aïn Diab, il est hors de question de courir sans leurs petites bouteilles d'eau minérale, leurs petits sacs à dos de chez Louis Vuitton et parfois leurs petits caniches qui risquent d'être traumatisés s'ils restent seuls à la maison!
Mais, à bien contempler les visages des sportives du South side, la crispation tape à l'œil.

Et une chose est presque sûre, ce n'est pas un effet de l'effort physique. Dans le South side, en dépit d'une esthétique remarquable et d'une plastique parfois irréprochable, nous sommes loin, très loin même de la joie et de la bonne humeur du North side.
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