Économie

L’abattage, une tache noire dans la chaine de production

Les constats de la Cours des comptes sur le secteur des abattoirs sont alarmants. Dans son rapport annuel 2016-2017, la Juridiction financière du Royaume révèle tout un chapelet de carences en termes de conditions hygiéniques et sanitaires ainsi que sur le plan de la gestion des abattoirs. Résultat : ces insuffisances affectent dangereusement la qualité des viandes et constituent un handicap majeur à la modernisation de l’activité de production et de distribution des viandes rouges.

Selon la Cour des comptes, contrairement aux dispositions de l’article 2 du décret n°2.12.612, du 4 décembre 2012, sur le contrôle de la salubrité des viandes foraines, celles-ci continuent à provenir d'abattoirs non agréés sur le plan sanitaire.

28 Août 2018 À 17:33

Le processus de modernisation de la filière des viandes rouges peine à atteindre ses objectifs. Dans son rapport annuel (2016-2017), la Cour des comptes relève plusieurs dysfonctionnements et carences qui entachent la gestion des abattoirs. Ces insuffisances affectent, selon la Juridiction financière du Royaume, de manière conséquente la qualité des viandes et constituent un handicap majeur sur le chemin de la modernisation de l’activité de production et de distribution des viandes rouges, et ce, malgré les efforts de mise à niveau du secteur entrepris par l’État. En effet, l’activité d’abattage constitue l’un des principaux axes des deux contrats programmes, 2009-2014 et 2014-2020, conclus entre l’État et les professionnels de la filière des viandes rouges. Concrètement, les magistrats de Driss Jettou pointent du doigt des insuffisances liées à la mise en œuvre du cadre juridique des abattoirs. Ces derniers sont régis par un ensemble de textes juridiques et réglementaires qui portent sur les modalités de création et de fonctionnement, les modes de gestion, ainsi que les conditions d’hygiène et de salubrité auxquelles doivent répondre les structures d’abattage. Problème : la mise en œuvre de certaines dispositions de ces textes se heurte à des difficultés inhérentes, particulièrement, à l’inadaptation des structures d’abattage aux normes techniques, environnementales et sanitaires, aux limites liées à l’action des différents opérateurs et à des défaillances de gestion. Par ailleurs, le cahier des charges fixant les conditions sanitaires, hygiéniques et d’équipement auxquelles doivent répondre les abattoirs, a instauré des normes à respecter par tous les abattoirs abstraction faite de la taille, de l’emplacement ou de la capacité de production. Le diagnostic a révélé que l’essentiel des structures dédiées à l’abattage réside dans des microstructures qui ne réunissent pas les conditions de base exigées dans le secteur. 
Ainsi, seules cinq structures d’abattage ont été agréées par les services compétents. Autre lacune : l’absence de traitement différencié entre les différents types d’abattoirs ne permet pas d’assurer la mise en œuvre des stipulations du cahier des charges, vu les exigences qu’il impose et qui nécessitent la mobilisation d’importantes ressources financières et un grand effort organisationnel. «À la différence de la production, la distribution n’a pas fait l’objet d'un cahier des charges qui accompagne la réglementation en vue d’arrêter les bonnes pratiques devant être suivies par les opérateurs», relève la Cour. 

Le cadre juridique à compléter 
La Cour des comptes rappelle que l’article 83 de la loi organique n°113.14 du 7 juillet 2015 sur les communes dispose que ces dernières procèdent, en parallèle avec d’autres acteurs du secteur public ou privé, à la création et à la gestion des abattoirs, à l’activité d’abattage et au transport de viandes. Cette disposition met ainsi fin au monopole de la gestion des abattoirs par les communes et ouvre la voie à d’autres opérateurs notamment du privé. Seulement voilà, cette ouverture n’a pas été accompagnée de mesures législatives et réglementaires fixant les rôles des différents intervenants, les modalités de régulation, le régime des taxes fiscales et parafiscales, l’organisation et les modes d’intervention des opérateurs dans la chaîne d’abattage (chevillards, bouchers, transporteurs, etc.). Autre grief : le non-respect des dispositions régissant le contrôle et la vente des viandes foraines. En effet, contrairement aux dispositions de l’article 2 du décret n°2.12.612, du 4 décembre 2012, sur le contrôle de la salubrité des viandes foraines, celles-ci continuent à provenir d'abattoirs non agréés sur le plan sanitaire. «Les services vétérinaires de l’ONSSA (Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires) délivrent des certificats sanitaires sur la base d’une lettre de son directeur général ordonnant la certification sanitaire des viandes foraines préparées dans des abattoirs municipaux non agréés», constatent les magistrats de la Cour. Cette dernière affirme néanmoins prendre note de la mesure prise, depuis janvier 2016, de limiter la circulation de viandes rouges à celles provenant des abattoirs agréés ou ceux autorisés provisoirement par l’ONSSA. Aussi, les dispositions juridiques relatives au marquage et à la traçabilité des animaux abattus ne sont pas respectées. Rappelons que pour des considérations de traçabilité, l’article 14 de la loi n°28.07, du 11 février 2010, sur la sécurité sanitaire des produits alimentaires prescrit aux détenteurs d’animaux destinés à la consommation humaine, de procéder au marquage de leurs animaux nés sur leur exploitation ou acquis sans avoir été marqués par le détenteur d’origine et de tenir à jour un registre d’élevage servi convenablement et permettant l’identification des animaux. La Juridiction affirme avoir observé dans la majorité des abattoirs contrôlés que les animaux abattus ne font pas l’objet de procédés de traçabilité. Les chevillards n’accordent pas d’importance à l’observation de cette prescription et le contrôle sanitaire ne veille pas suffisamment à l’application de cette procédure.

Les sites d’implantation des abattoirs mal choisis 
Selon le document de la Cour des comptes, les structures d’abattage en tant qu’établissements classés insalubres doivent être implantées dans des lieux excentrés par rapport aux zones d’habitation, conformément aux dispositions du Dahir du 3 Chaoual 1332 (B.O. du 4 septembre 1914) portant règlementation des établissements insalubres, incommodes ou dangereux. Le respect de cette prescription est remis en cause du fait notamment du développement des agglomérations urbaines, faisant en sorte qu’une bonne partie des structures concernées se trouve actuellement localisée à proximité ou au milieu de ces agglomérations. Résultats : l’emplacement inadéquat de ces entités entraîne des effets croisés sur la population et sur les viandes étant donné les risques sanitaires induits par les conditions de traitement et d’évacuation des déchets et par l’existence de vecteurs de transmission de pathologies. À cela s’ajoutent l’absence d’une chaîne d’abattage, proprement dite séparant le secteur propre du secteur souillé, des insuffisances en termes d’agencement des locaux et de conformité des murs et sols aux prescriptions du cahier des charges, le défaut de raccordement des abattoirs aux réseaux d’eau potable, d’électricité et d’assainissement et l’absence de blocs et de dispositifs sanitaires. 

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