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«Ce qui est attendu de la régionalisation, c’est qu’elle produise un effet sur l’organisation institutionnelle du pays»

26 Juillet 2018 À 00:38

«Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais à mon tour féliciter M. le PDG du Groupe Le Matin, et à travers lui tous les organisateurs, qui permettent la réussite de cet événement et surtout aujourd’hui autour de la thématique de régionalisation avancée. Un chantier, on l’a vu tout à l’heure, et je remercie M. le wali directeur général de la présentation extrêmement détaillée et inscrite dans le temps, qui permet de se rendre compte de l’ensemble des étapes du processus de décentralisation et de régionalisation dans notre pays, et qui montre clairement ce que nous disons tous, et qui est une caractéristique de la régionalisation au Maroc. C’est que c’est une régionalisation qui a été voulue, elle aurait pu être subie, mais elle a été voulue, dans la mesure où elle traduit une conviction collective qui a abouti à la nécessité de s’organiser en construisant sur ce qui fait le Maroc, sa diversité. Ce qui au final peut être considéré comme une richesse et donc une complémentarité. Et aussi la nécessité de dialoguer avec le monde tel qu’il évolue aujourd’hui.
Mais comme toute chose voulue, il peut être parfois frustrant que les résultats qui peuvent apparaître ne correspondent pas à ce qui est imaginé au départ. Et je crois que ça s’applique à notre chantier de régionalisation. Parce que nous savons que c’est un chantier de long terme. D’ailleurs, il est très difficile à un président de région de le dire, cela pourrait être aperçu comme une tentative de fuite en avant, parce que de l’autre côté, nous avons des attentes extrêmement claires, extrêmement pressantes, et qui souvent dépassent ce qu’il est possible de faire à un instant donné dans le cadre d’un mandat. Donc notre véritable challenge, c’est évidemment de travailler pour que le chantier de long terme ne soit pas ramené à un petit chantier et qu’il demeure un chantier structurant parce qu’il s’agit effectivement d’un chantier structurant pour notre pays.
Je rappelle à cet égard qu’il n’y a pas un Discours Royal, d’ailleurs rappelés aujourd’hui, abordant la régionalisation ou la décentralisation et où la participation n’est pas citée. Il faut noter aussi que les premiers discours de Sa Majesté le Roi, après Son Intronisation, ont déjà abordé cette question, alors que la régionalisation venait juste de démarrer au Maroc dans sa nouvelle formule en 1996 ou 1997. Donc on voyait très bien que c’était potentiellement un levier gagnant et, aujourd’hui, on en est encore à construire autour de ce chantier et dans le cadre de ce chantier. Donc, nous ne devons pas négliger ou nier ce caractère de long terme, au risque de limiter l’ambition. Mais ce qu’il faut retenir, c’est la nécessité de joindre les efforts, pour qu’au-delà de la mise en place de l’architecture de ce chantier, nous ayons aussi des concrétisations.
Dans le cadre de ce Forum, vous avez choisi de parler des disparités régionales. Je voudrais noter à ce propos l’existence de disparités à l’intérieur même des régions. Comme vous le savez, nous sommes passés de 16 à 12 régions, mais chacune de ces 12 régions repart avec un nouveau périmètre, avec un nouveau défi qui est évidemment celui d’avoir un minimum d’équilibre entre les territoires et aux bénéfices ces populations. Si je prenais le cas de Casablanca-Settat, une région de 7 millions d’habitants, la première en termes de population, s’étalant sur 20.000 kilomètres carrés, avec désormais un arrière-pays rural extrêmement vaste, comparé à ce qu’a été le Grand Casablanca avant d’englober les trois quarts de l’ex-région Chaouia et la moitié de l’ex-région Doukkala. C’est une région beaucoup plus riche qui est représentative de cette ambition autour des 12 régions destinées à avoir une vocation économique forte, suffisamment dense pour que des complémentarités permettent des investissements en infrastructures, des possibilités d’attraction d’investisseurs publics et privés beaucoup plus importants, et aussi pour que le développement des infrastructures et des équipements dans tout le territoire de cette région soient aujourd’hui possibles. Les mécanismes de l’opérationnalisation sont en place, mais nous sommes face à au même défi qui est d’enclencher, au quotidien, des chantiers concrets pour y arriver. 
Les disparités existent, je voudrais citer quelques indicateurs et avant cela appuyer sur ce que M. le président du Conseil économique, social et environnemental a rappelé tout à l’heure en citant deux provinces, Sidi Bennour qui se trouve dans la région du Grand Casablanca-Settat et Tinghir qui se trouve dans de la région de Drâa-Tafilalet que je connais bien aussi. Je voudrais juste attirer l’attention sur un point commun entre ces deux provinces et qui ne leur est pas propre d’ailleurs, et qui, je pense, explique en partie les chiffres sur les disparités entre les régions. Évidemment, il y a des disparités et elles sont amplifiées, même dans les cas de certaines provinces nouvellement créées, comme Sidi Bennour et Tinghir, mais aussi beaucoup d’autres. Ce qui se passe souvent, et ce à quoi il faut prêter plus d’attention, c’est qu’on crée des provinces alors que la mise en place des services extérieurs qui sont censés accompagner ce processus prend du temps. Et ce temps est quantifié en une dizaine, voire en une quinzaine d’années, perçues par les populations comme marquant un recul du service public.
À ce sujet, je voudrais évidemment rappeler une notion évoquée par M. le wali, qui est souvent signalée par nous, les présidents des régions, avec en premier lieu notre président de l’Association des présidents de régions, M. Mohand Laenser, qui est que la régionalisation est une monnaie à deux faces : la décentralisation qui a été largement débattue aujourd’hui et la déconcentration. Et tant que nous marcherons à des rythmes différents, nous aurons toujours des résultats extrêmement relatifs. Il est dans notre intérêt à tous de marcher au moins à la même vitesse, à défaut de marcher à grande vitesse, pour que les concrétisations qui se font puissent être perçues.
Je voudrais donner quelques exemples concrets au niveau de Casablanca-Settat et qu’il faut, je le rappelle une fois encore, pouvoir dépasser : nous avons encore au niveau de la région de Casablanca-Settat 3 Agences urbaines, parce que nous somme la somme de trois régions. Dans ces conditions, il est évidemment un peu périlleux de produire un schéma régional d’aménagement du territoire qui puisse être extrêmement pertinent, en tenant compte des impératifs, sans associer ces Agences urbaines avec toutes les compétences qu’elles ont et toute la connaissance des territoires qui est supposée nourrir ce travail pour que ça ne soit pas uniquement un travail de techniciens, mais un travail qui tient compte des réalités à la fois géographique, économique et sociale. Des schémas aussi qui ne se limitent pas à une partie seulement de la région, mais qui couvrent au moins tout son territoire. Il faut par la suite, comme le stipule la loi, travailler avec les régions voisines pour optimiser l’inter régionalisé et les effets qu’elle peut produire sur les frontières entre ces régions.
Dans ce processus de régionalisation, tout peut paraître prendre du temps, mais il y a énormément de choses qui se font. Et là, je voudrais noter que dans le cas du rôle prééminent des régions et notamment en termes de planification, les PDR (plans de développement régional) sont élaborés aujourd’hui par la quasi-totalité des régions. Pour Casablanca-Settat, c’est le cas depuis plus d’une année. En effet, le PDR est aujourd’hui notre support privilégié de travail, même si pour certaines de nos actions, nous continuons évidemment à assurer la continuité de ce qui a été initié auparavant. Désormais, la référence de ce PDR, et donc sa confection, est extrêmement importante. Elle repose sur quelques principes, notamment celui qui consiste à identifier toutes les potentialités autour desquelles on peut bâtir, identifier les carences, les retards, les disparités qu’il faut également intégrer comme priorités. Nous avons d’ailleurs identifié quelques priorités en concertation avec les élus locaux, et il en ressort quelque chose qui, je pense, pourrait être commun à beaucoup d’autres territoires et beaucoup d’autres régions, à savoir l’enclavement. C’est en effet un sujet qui persiste au niveau Casablanca-Settat. Nous avons une grande partie, inférieure à la moyenne nationale, mais une bonne partie de la population qui est encore dans le milieu rural. Cela nécessite d’avoir un réseau de routes rurales qui soit en qualité suffisante pour permettre au citoyen d’aller au souk, d’aller à l’hôpital, de rejoindre une route principale pour aller en ville, d’aller à l’école… Dans la région, nous avons un réseau de 9.000 km, dont la moitié est de très mauvaise qualité. Donc le premier défi, et c’est là une demande unanime de tous les élus et les citoyens, est d’agir sur ce problème de désenclavement. Il se trouve fort heureusement que ce programme fait aussi partie d’une priorité à l’échelle nationale.
Il en est de même pour l’accès à l’eau potable. Cela peut surprendre de parler de problèmes d'accès à l’eau potable dans la région de Casablanca-Settat, mais c’est encore une réalité que certains de nos villages subissent. Même après des périodes pluvieuses, comme c'était le cas cette année, il y a un besoin cet été d’alimenter certains douars de citernes. Et même en termes d’électricité, et j’ai presque honte d’en parler, il y a encore quelques villages qui n’ont pas la moyenne que nous affichons à l’échelle nationale, qui est de 97 ou 98%. Nous avons, y compris au niveau de la région de Casablanca-Settat, et précisément dans la province de Benslimane, qu’on compare à des provinces durables comme Ifrane, voire des territoires étrangers, un des taux d’électrification les plus bas du Maroc, soit 70%. Ce sont là des réalités qu’un président de région et qu’un conseiller régional qui se respecte ne peut que prendre en compte s’il veut être crédible dans son action et dans son ambition de valoriser les potentiels qui sont énormes. Nous avons évidemment une infrastructure qui reste de meilleure qualité, qui fait l’attractivité de la région et qu’il faut maintenir, et en priorité les infrastructures de mobilité et de transport, la qualification de certaines communes «tampon». Nous avons aussi au sein de la région une dynamique démographique extrêmement forte qui se traduit par un exode des communes rurales et de certaines communes intermédiaires vers les grands centres urbains et en particulier celui de Casablanca. La périphérie de Casablanca connaît le taux de croissance démographique le plus haut du Maroc, qui va de 5 à 9% dans certains cas. Il n’est donc pas étonnant d’avoir des problèmes d’infrastructures publiques, de densité dans les classes à chaque rentrée. Il n’est pas étonnant non plus d’avoir des problèmes d’emploi des jeunes : 200.000 de nos jeunes sont dans les universités de la région et au moins 5 fois plus sont en âge de devoir demander de l’emploi dans les cinq prochaines années. Donc ce sont des défis énormes à relever par le chantier de la régionalisation. Nous avons la possibilité et la chance, voire le devoir de raisonner en termes de développement intégré à travers une territorialisation des politiques publiques, et il est important que cela se traduise par une adaptation de la conception de nos politiques publiques nationales. Évidemment, ce n’est pas le cas dans le cadre de ce premier exercice, mais il est prévu que les politiques nationales doivent se concevoir à l’avenir en partant du terrain et les stratégies régionales se faire aussi en référence à ces stratégies nationales.
Je vais recommander trois choses. D'abord qu'en parallèle évidemment avec la déconcentration, on puisse avancer de manière concrète à travers des actes, qu’il y ait une réflexion sur l’adaptation du dispositif institutionnel national, et ça a été cité dans l’un des discours de Sa Majesté que Dieu l’assiste. Ce qui est attendu de la régionalisation c’est qu’elle produise un effet sur l’organisation institutionnelle du pays et, à mon avis, il aurait fallu que par exemple l’architecture gouvernementale soit adaptée à cette échéance et à cette ambition.
Je voudrais formuler aussi le vœu que sans attendre l’arrivée de la proximité des échéances électorales, que nous ayons un débat serein sur ces missions que nous sommes appelés à jouer, les effets qui sont attendus de ces missions, les richesses que cela peut produire et la répartition que cela nécessiterait pour que la mécanique vertueuse puisse fonctionner. 
Parce qu'aujourd’hui on a deux discours, un discours d’augmentation des budgets vers les régions, c’est une réalité, mais c’est une augmentation que je qualifierais moi de relative, dont il faudra débattre pour apprécier son ampleur au regard des missions qui sont désormais les nôtres. Et peut-être aussi un débat politique cette fois-ci sur les règles électorales qui doivent sécréter les Conseils régionaux pour que soient intégrées les quelques recommandations : j’ai entendu parler des jeunes, j’ai entendu parler du genre, je rappelle qu’aujourd’hui 40% des conseillers régionaux sont des conseillères, mais il n’y a pas de référence particulière aux jeunes. Or à mon avis il faudrait plutôt exiger qu’il y ait des candidatures de jeunes, cela ferait monter mécaniquement des jeunes au sein des conseils, et en même temps ceux-ci doivent aussi apprendre à travailler sur le terrain, à être proches des citoyens dès les campagnes électorales et au-delà.
Peut-être faut-il un débat sur la façon dont peuvent être constitués les conseils électoraux et veiller à secréter des groupes qui permettent un bon fonctionnement par la suite de ces conseils régionaux, parce que la réalité des conseils territoriaux n’est pas tout à fait la même que ce qui existe à Rabat entre le Parlement et le gouvernement. Un conseil régional cumule deux responsabilités : d’abord on prend des décisions et puis on gère, contrairement à la dualité qu’il y a entre le Parlement et le gouvernement. Par conséquent, cela mérite réflexion pour là aussi réévaluer notre expérience, regarder ce qui se passe ailleurs, le souci étant d’aller vers plus d’efficacité. 
La régionalisation ne va pas se terminer avec notre mandat, elle ne fait que démarrer et je crois que nous devons rester attachés à ce que cette régionalisation commence à produire ses effets. Personnellement, je ne comprenais pas certaines choses avant d’être sur le terrain et responsable de terrain, je n’avais pas toutes les explications. Souvent, nous déplorons l’inadéquation en termes de résultats entre l’effort en investissement et les résultats au niveau social, économique et de la population. Moi je pense qu’on peut l’expliquer de manière assez large, par la réalité de ces investissements auxquels manquent souvent les synergies au niveau de la conception, il manque aussi la pertinence par rapport aux priorités.
Je peux définitivement dire qu’une priorité ne peut absolument pas se définir à Rabat, une priorité doit remonter du terrain et pas forcément à l’échelon régional, c’est souvent plus bas. Et ensuite il y a la multiplicité des acteurs au cours de la réalisation de certains projets d’investissement. Je pense qu'aujourd’hui le cadre que nous avons a apporté beaucoup d’améliorations en termes de clarifications des missions, en termes de rôles. Il faudrait que nous nous attachions à respecter cela, et cela se traduira par une meilleure efficacité, pour une plus grande efficacité de l’investissement public et une meilleure visibilité pour l’investissement privé et, par conséquent, une plus grande attractivité de nos territoires». 

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