Économie

Le droit à l’erreur, un levier de transformation mais...

En milieu professionnel, le mythe du parfait persiste. Tellement concentrés sur la performance et l’efficacité, certains managers ne tolèrent pas l’erreur des collaborateurs. Or comment peut-on stimuler la prise d’initiatives si les collaborateurs sont convaincus qu’ils peuvent être sanctionnés à la moindre erreur ? C’est dire que les managers ont désormais intérêt à revoir leur rapport avec ce droit à l’erreur et renforcer l’autonomisation de leurs collaborateurs. Le point avec Leïla Naïm, professeure chercheuse en communication et comportement, coach consultante senior et responsable du master RH à ESCA École de management.

11 Juillet 2018 À 18:15

Éco-Conseil : Quel est l'impact du droit à l'erreur sur la conduite du changement ?
Leila Naïm :
La société dans laquelle nous vivons a renforcé à travers le temps la croyance selon laquelle l’erreur est une forme d’échec. Cette perception a longtemps dominé l’inconscient collectif et a dépassé le simple registre personnel et individuel qui concerne le rapport de l’homme avec ses propres actions et résultats pour s'étendre au milieu professionnel même. En entreprise, le mythe du parfait persiste toujours. Ainsi, ceux qui commettraient une erreur se feront juger par le système et l’on pourrait même prendre des décisions à leur encontre tels que le licenciement. Par contre, ceux qui n’en commettent pas, ils seront mis en valeur jusqu’à leur prochaine erreur. Toutefois, certaines entreprises ont fourni l’effort de changer cette croyance stéréotypée sur l’erreur en la transformant dans leurs cultures d’entreprise en un vrai levier d’apprentissage et de changement. Ils encouragent les initiatives en tolérant les erreurs et en engageant la réflexion, dans le cadre de procédures managériales fixes, sur les causes et les manifestations de l’erreur ainsi que sur les pistes d’amélioration des erreurs commises. L’erreur devient, de ce fait, dans ce type de culture d’entreprise, un vrai levier de changement. 

Comment le droit à l'erreur pourrait-il être une pratique saineen management ?
La référence de l’erreur comme valeur sûre d’apprentissage n’est pas facilement acquise en entreprise. Le système du management lui-même est basé sur des critères qui vont à l’encontre de cette valeur tant sur la forme que dans le fond. En entreprise, la performance des salariés reste le maitre mot et non leur bien-être. Les modèles de management eux-mêmes sont basés sur l’uniformité aux exigences des indicateurs dits de performance. Les systèmes de valeurs appellent à l’excellence et à la performance, les méthodes de travail appellent à la qualité totale, au zéro défaut et à la maitrise des risques et les outils du management appellent aux tableaux de bord, aux entretiens d’évaluation. L’erreur est considérée comme une inconformité à l’excellence visée. Le premier amalgame à soulever est que «Faire une erreur» ne signifie pas «Être en erreur». La première se situe sur le niveau cognitif et la deuxième sur le niveau identitaire. Afin de bien changer le résultat des erreurs en faveur du management, il faut changer la posture du salarié de celle de l’enfant soumis face aux exigences et aux procédures en celle de l’adulte qui assume les responsabilités et engage les actions d’amélioration. Le management positif de l’erreur commence par ce gros travail sur la perception et la posture face à l’erreur. 

Cela est-il valable pour tout type d'erreur ou existe-t-il des erreurs impardonnables ?
Pour répondre à cette question, il faudra faire la différence entre erreur, échec et faute. Nous parlerons d’erreur lorsque le cadre de référence est mis en place et partagé clairement avec le salarié. L’erreur, dans ce cas, se manifeste lorsqu’une instruction n’est pas respectée. Elle peut provenir d’une maladresse, d'une inattention ou d'une incapacité. Elle est donc intentionnelle. L’échec, quant à lui, se réfère à un résultat prédéfini. Il y a échec quand il y a manquement au résultat. Il n’y a pas échec s’il n’y a pas de résultat préalablement défini. L’erreur et l’échec sont considérés intentionnels face à la faute qui est considérée comme une transgression consciente et volontaire des règles en vigueur. La faute est un acte délibéré qui est pris en charge par la loi. Elle est donc impardonnable.

Comment recadrer les collaborateurs qui abusent de ce droit ?
En entreprise, il n’est pas question d’autoriser l’erreur, mais de l’accepter pour la transformer en levier d’amélioration. Et comme dirait Sénèque «Si l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique». Ce qui pose problème n’est pas l’erreur en tant que telle, mais la persévérance de cette même erreur. De ce fait, nous ne parlerons pas de «Droit à l’erreur», mais plutôt de «Valorisation de l’erreur». Maintenant, si nous sommes face à des collaborateurs qui bâclent le travail, il faudra d’abord examiner l’erreur au niveau des instances managériales et voir si le paramètre temps est un indicateur de performance. Si, dans la culture d’entreprise, la rapidité et le timing sont des paramètres très bien considérés, les salariés auront sûrement à bâcler le travail, car en le faisant, ils pensent répondre à la performance temps et pas autre chose. Ce paramètre sera à revoir ! Autre chose, l’entreprise devra mettre en œuvre la culture qui prône le fait que le travail bien fait est toujours collectif. La collaboration a pour objectif d’améliorer les performances individuelles et collectives. Ainsi, ceux qui travaillent bien vont tirer ceux qui travaillent moins bien (ceux qui bâclent) vers la même dynamique. 

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