Économie

Formation, Financement et Fiscalité

Par Nabil Adel Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Les inégalités se créent à la naissance, en fonction de la catégorie d’école à laquelle notre appartenance à une classe sociale nous destine.

04 Juillet 2018 À 18:54

La réduction des inégalités dans un pays passe par l’action sur trois leviers. Une école qui garantit l’accès de tous à une éducation et un enseignement de qualité ; et aux plus brillants de se hisser aux fonctions les plus élevées du pays, sur la base de leur seul mérite et non sur un quelconque privilège à la naissance. Un marché financier qui permet aux porteurs de bonnes idées d’accéder à un financement adéquat avec comme seule garantie l’ingéniosité de leurs concepts et leur capacité à les concrétiser. Un système fiscal qui fait contribuer chacun aux ressources de la patrie, en fonction de ses revenus et qui répartit équitablement les fruits de la croissance entre les citoyens. 

Formation : inégalité à la naissance
Le problème de notre système éducatif peut, à notre sens, se résumer en trois grandes tares et en un danger imminent. Ainsi, outre la baisse générale du niveau qui nous classe parmi les pays qui dépensent le plus et récoltent le moins et qui produit des licenciés ne sachant ni lire, ni écrire correctement, il y a le manque cruel de communication entre le monde de l’enseignement et les mondes des affaires et de la gestion publique ; et la focalisation de notre école sur l’enseignement, au détriment de l’éducation et de la transmission des valeurs de citoyenneté et de vie en société, bien plus utiles au développement du pays que le stockage de données qu’on oublie à la sortie de l’examen. Quant au danger imminent, notons que, faute d’avoir entrepris les réformes courageuses de fond, loin des surenchères politiciennes, nous avons instauré un système dangereux, à trois niveaux. Un premier niveau, constitué de missions culturelles (nous avons grâce à Dieu toutes les nationalités !), qui débouche sur des formations à l’étranger et qui prépare l’élite de demain. Un deuxième niveau, d’écoles privées nationales jusqu’aux études supérieures pour les chanceux qui peuvent se les offrir et dont la qualité et le sérieux varient fortement. Le troisième niveau est celui de l’école publique, celle du «petit» peuple qui prépare au chômage et aux manifestations devant le Parlement. Les inégalités se créent donc à la naissance, en fonction de la catégorie d’école à laquelle notre appartenance à une classe sociale nous destine. Ainsi, au lieu d’avoir un système qui consacre la cohésion nationale et favorise l’égalité des chances, nous avons créé, par superposition de réformes (chaque gouvernement applique son propre agenda sur ce terrain miné), un système qui favorise la dislocation de celle-ci et crée une fracture entre les différentes composantes de la société qui ne parlent plus le même langage et ne partagent plus les mêmes valeurs, censées être, inculquées par l’école de la Nation.

Financement : quand l’argent circule dans les mêmes sphères
En théorie, la raison d’être du marché financier est d’assurer à tout porteur d’un projet rentable, un financement adéquat à un coût optimal. Mais ça, malheureusement, c’est seulement dans le monde feutré des laboratoires de recherche en finance et en économie. La réalité est tout autre. Loin des clichés et des approximations sur la solidité de notre marché financier, force est de constater que les différents compartiments de celui-ci ne jouent pas leur rôle premier. En effet, l’essentiel des financements bancaires vont à la consommation, à l’immobilier (acquéreurs et promoteurs), aux crédits trésorerie et, comble, au financement d’opérations financières ! S’agissant de la Bourse, le montant des financements, qui transitent par ce haut temple de l’économie casino selon l’expression de Keynes, est ridiculement bas et il est surtout le fait des grandes banques pour les emprunts obligataires. Le peu d’appels à ce marché (moins d’une introduction par an sur les vingt dernières années et encore moins d’émissions obligataires) a été fait essentiellement pour assurer des prises de bénéfices, et accessoirement, pour financer les projets de développement de grandes entreprises. Quant aux crédits censés jouer leur véritable rôle socioéconomique de financement de plusieurs, et pas simplement de gros, projets assurant un outil de réduction des inégalités et une courroie facilitant la rotation des capitaux et des fortunes, ils ont été limités aux tristement célèbres «Crédits jeunes promoteurs» et aux projets «Moukawalati», dont la plupart des bénéficiaires, faute de processus rigoureux de sélection des dossiers de la part des banques, d’encadrement et de formation, ont plus fini en faillite ou en prison qu’en créateurs d’emplois et de richesses.  

Fiscalité : tous pour un et un pour tous
La fiscalité fait partie du système de prélèvements qui comprend, en outre, les cotisations sociales. La politique de prélèvement dans un pays renvoie à la définition du type de société auquel il aspire et le rôle qu’il veut que l’État y joue. Dans les modèles libéraux, la fiscalité, à l’image de l’État, doit être minimale. Les défenseurs de l’ordre naturel (base philosophique des théories libérales en économie) démontrent qu’en laissant les individus faire leurs propres choix sans interférence publique, ceux-ci sont capables d’opérer les meilleurs choix possible pour eux, et sans s’en rendre compte, pour leurs communautés (principe de la main invisible d’Adam Smith). Ils estiment que l’État, au-delà des fonctions régaliennes, devient un instrument de subversion et d’oppression et que trop de fiscalité finance cette dérive. Aussi bien en économie, qu’en régulation de la société, la meilleure chose, disent-ils, que l’État puisse faire, c’est ne rien faire ! Et pour ne rien faire, il n’a pas besoin de beaucoup d’argent. Dans le modèle keynésien, le système de prélèvement joue, outre le financement des fonctions régaliennes, un rôle de répartition des revenus, de réduction des inégalités et de stimulation de l’économie, par la dépense publique, en temps de récession. L’État n’est pas limité aux fonctions classiques, mais intervient là où le marché et l’initiative individuelle montrent leurs limites. Ses promoteurs prennent le contrepied des libéraux et défendent que le marché, même fonctionnant sans entraves, ne peut à lui seul organiser la solidarité à l’intérieur d’un pays, car il y aura toujours une frange de la population en dehors du système productif et donc nécessitant une prise en charge. En faisant jouer actif à la fiscalité, l’État oriente les flux monétaires de ceux qui «ont» vers ce qui «n’ont pas» et selon son stade de développement il favorisera soit l’investissement et l’innovation, soit la consommation et la rente.
Ces trois leviers sont la base de tout projet économique efficace et juste. C’est aussi simple que cela ! 

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