Économie

Comment sortir des jeux psychologiques en entreprise (1/2)

Les jeux psychologiques existent bel et bien dans la vie professionnelle et peuvent même influencer le bon fonctionnement du travail et l’ambiance des équipes. Selon Sanae Hanine, formatrice en communication non violente, ces jeux psychologiques «sont mis en place lorsque les individus ne parviennent pas à installer un autre mode de relation avec les autres, pour bénéficier d’un avantage d’une manière détournée et qui débouche sur un sentiment de malaise et d’inefficacité des deux côtés». Le point.

01 Juillet 2018 À 12:27

Éco-Conseil : On parle de plus en plus des jeux psychologiques en entreprise. De quoi s'agit-il au juste ?
Sanae Hanine :
Sûrement, vous avez croisé dans votre carrière professionnelle, le collègue du travail qui se plaint du manque de ressources, de l’incompétence de sa secrétaire, des fournisseurs toujours en retard, de l’équipe qui ne fait pas assez, du client trop exigeant… Bref, il se plaint de la pluie et du beau temps. Ce type de personnage est une «victime». Une victime parc qu’on ne tire pas sur une ambulance. Et comme la victime a toujours besoin d’un sauveur, il existe sûrement une personne qui va jouer ce rôle. Son chef de projet va venir à la rescousse. Il va proposer de l’aide avec «abnégation» pour la sauver des griffes du persécuteur qui peut être un supérieur hiérarchique ou un client ou encore une autre personne. Ce que je viens de présenter là, c’est exactement les trois jeux psychologiques les plus fréquents en entreprise et qui sont le pivot du triangle dramatique de Karpman : «Persécuteur-Victime-Sauveur». Il est qualifié de dramatique parce qu’il fait référence au drame théâtral. En créant ce concept, Karpman s’est inspiré des jeux dramatiques du théâtre. On a d’ailleurs constaté que pour qu’un «drame» se déroule, il faut trois rôles : le «Persécuteur», le «Sauveur» et la «Victime». Ce sont des rôles psychologiques inconscients et symboliques de manipulation (sauf en cas de manipulateurs pathologiques) qui se jouent dans la vie de tous les jours et qui sont transférés naturellement en milieu professionnel.

Quelles sont les principales caractéristiques des jeux psychologiques en entreprise 
Les «jeux psychologiques» sont des répétitions de transactions cachées, mises en place de manière inconsciente et involontaire par les individus. Ces jeux sont mis en place lorsque les individus ne parviennent pas à installer un autre mode de relation avec les autres, pour bénéficier d’un avantage d’une manière détournée (restauration d’un ego égratigné par exemple, diaboliser l’autre, etc.) et qui débouche sur un sentiment de malaise et d’inefficacité des deux côtés. Néanmoins, il faut se méfier de la finalité de ces jeux psychologiques : les bénéfices ne sont pas toujours agréables ou avantageux pour les personnes qui les adoptent. Ils peuvent avoir plusieurs objectifs : revivre un schéma relationnel expérimenté dans l’enfance, obtenir un type de signes de reconnaissance que l’on n’aurait pas eu autrement, valider ses croyances sur soi ou sur les autres… On peut noter deux choses à propos de ces jeux. Premièrement : la répétitivité et la ritualisation des jeux pouvant tourner à la compulsion et devenir de ce fait un trait de caractère de la personne. Deuxièmement : l’alternance des rôles. Malgré l’adoption d’un jeu psychologique dominant, les individus peuvent passer d’un rôle psychologique à un autre pour obtenir les gratifications souhaitées qui sont toujours les suivants : la victime cherche à attirer l’attention des autres, le persécuteur a le rôle de donner le pouvoir et le sauveur véhicule l’image positive d’altruisme.

Comment expliquer ces attitudes en milieu professionnel ?
Comme déjà expliqué, un jeu psychologique se transpose de manière naturelle de la sphère privée vers la sphère professionnelle. Les individus ont des difficultés de se délester de ces rôles qu’ils connaissent bien et qu’ils ont passé leur vie à consolider. L’objectif est de toujours essayer d’obtenir un bénéfice de la relation professionnelle, mais de manière détournée. Le persécuteur, quelle que soit sa position hiérarchique, va mettre en place un jeu psychologique pour s’arroger le pouvoir. L’objectif inconscient consiste en la libération des pulsions agressives, assoir la domination à travers la critique et le rabaissement de sa victime. Cette posture est justifiée par un ancien passé de la victime. On peut citer l’exemple du manager dont le manque de légitimité réelle ou imaginaire, ou l’incapacité d’affirmer son autorité le poussent à adopter des pratiques de persécution : agressions verbales, harcèlement moral, feed-back négatifs injustifiés, rétention de l’information, etc. En fait, le persécuteur crée le conflit pour prouver qu’il existe «Je crée un conflit, donc j’existe». Pour lui, tout manquement aux règles est tout simplement impensable et intervient au moindre écart.
La victime opère sur un autre registre, elle impulse le jeu psychologique pour se détourner de ses responsabilités et pour attirer l’attention vers elle. Pour la victime, c’est toujours la faute des autres. Elle attire le persécuteur pour la martyriser et le sauveur pour la sauver. On peut citer l’exemple de l’assistante qui essaye de cacher son incompétente en se plaignant des membres de l’équipe et se tourne vers le chef pour la sauver. Le manège du sauveur n’est pas innocent. Il agit en protecteur pour obtenir des signes de reconnaissance qui nourrissent le narcissisme de son ego. Il fait montre d’abnégation, d’altruisme et de générosité ce qui véhicule une image très positive de lui-même dans son entourage. Le sauveur a tendance à porter secours à tous sauf à lui-même. Il intervient même s’il n’a pas été sollicité, et infantilise et place la victime en position d'incapacité. Il peut devenir persécuteur ou victime s’il est déçu par un manque de reconnaissance. 


Propos recueillis par Nabila Bakkass

Copyright Groupe le Matin © 2024