Économie

«Personne n’est indispensable», l'expression qui tue la motivation

«Personne n’est indispensable», une expression que bon nombre de managers prononcent en entreprise pour faire comprendre à un collaborateur qu’il y a d’autres candidats pour le remplacer. Du point de vue philosophique, cette expression est vraie, mais elle peut avoir des conséquences néfastes sur la performance et la motivation d’un collaborateur qui se donne à fond dans son travail. Le point avec Malgorzata Saadani, coach internationale ICC.

En entendant qu’il est facilement remplaçable, le collaborateur a peur que cela ne se produise et devient beaucoup plus malléable.

24 Avril 2018 À 18:41

Éco-Conseil : «Personne n'est indispensable», une expression qu'on utilise souvent en entreprise. Quel impact peut-elle avoir sur la performance d'un collaborateur motivé ?
Malgorzata Saadani
: C’est dur à entendre, c’est sûr ! En même temps, si nous considérons cette expression du point de vue philosophique et factuel, non seulement elle est vraie, mais elle s’applique également au manager qui la prononce... Puisque dans l’absolu, il peut arriver qu’un collaborateur ou un dirigeant soit dans l’impossibilité physique ou mentale d’exercer ses fonctions pendant un certain temps, suite à une maladie, par exemple. Et là, tout le monde se rend compte qu’après une brève période d’adaptation aux conditions changées, l’équipe retrouve un nouvel équilibre sans lui, pour poursuivre les activités comme avant. Face à ce constat, une personne qui avait tout sacrifié pour son travail en se croyant vraiment indispensable éprouve une prise de conscience extrêmement forte menant souvent au réaménagement des priorités dans sa vie. Malheureusement, la phrase que vous venez de citer est utilisée couramment non pas pour approfondir la réflexion sur les priorités dans la vie, mais simplement pour faire comprendre à un collaborateur qu’il y a d’autres candidats pour le remplacer. En l’entendant, une personne motivée et engagée peut se sentir désavouée et découragée. Si elle avait l’intention de présenter des initiatives, elle les garderait pour soi. Si elle était prête à faire des sacrifices pour le bien des projets dont elle est investie, elle va temporiser, voire y renoncer. Elle fera le profil bas et deviendra plus réticente dans ses expressions. En finalité, cela aboutit sur une communication biaisée et un jeu des rôles là où la franchise et les règles claires seraient plus utiles pour mener vers un succès collectif.

À votre avis, pourquoi les managers utilisent-ils cette expression ?
Vous avez certainement entendu l’expression «Diviser pour mieux régner» : mettre les gens en position de compétition afin d’éviter qu’ils ne soient solidaires dans leurs revendications communes et de les gérer, voire les manipuler plus facilement. Cette technique d’influence est d’autant plus efficace lorsqu’il s’agit des personnes sans compétences particulières ou traversant une déconjoncture. En entendant qu’il est facilement remplaçable, le collaborateur a peur que cela ne se produise et devient beaucoup plus malléable. Finalement, ça fonctionne comme la terreur : c’est la perspective d’une hypothétique conséquence qui travaille le cerveau, pas le licenciement ou la dégradation effective.
Enfin, on ne peut pas exclure l’existence des complexes personnels ou même des traits sociopathes chez certains responsables qui cherchent à se sentir supérieurs juste en dévalorisant les autres.

Dans quelle mesure la valorisation individuelle permet-elle d'atteindre une performance globale ?
Si nous considérons que le collectif est un ensemble d’individus, la valorisation et le bien-être au travail de chacun contribuent naturellement à une synergie et à l’efficacité de toute la structure. Ceci dit, au-delà de cette règle d’addition arithmétique, il y a aussi une dynamique de groupe qui se crée et qui est une notion à part : un ensemble de personnes bien intégré qui devient une entité en soi montre des performances décuplées. Cette thématique particulière fait l’objet d’intérêt du teamcoaching dont l’objectif est la performance collective grâce aux talents et potentiels divers qui en font partie. Comme vous pouvez le constater, le teamcoaching défini ainsi est une prestation extrêmement délicate, accessible aux coachs expérimentés et spécialisés, et de nos jours trop souvent confondue avec les activités ludiques ou formatrices de cohésion d’équipes.

Quels sont les ingrédients d'une bonne relation entre le manager et ses collaborateurs ?
Je pense que la base indispensable de toute relation humaine, y compris celle en milieu professionnel c’est le respect. Indépendamment des grades hiérarchiques, de l’âge, de l’origine sociale ou de tout autre facteur. Juste le respect mutuel. Ce qui rend cette relation respectueuse, c’est aussi la communication claire sur les objectifs et les moyens d’y parvenir, ainsi que l’analyse factuelle des échecs et des moyens de les éviter dans le futur. Pourtant, il est si difficile de l’appliquer dans la pratique et les exemples en sont nombreux et quotidiens... Personne n’est indispensable, mais l’organisation a besoin de chacun pour bien fonctionner. Et sans toutes ces personnes, elle n’existerait pas. 

Copyright Groupe le Matin © 2024