Économie

Les leçons de Deng Xiaoping

La Chine vient encore de faire parler d’elle, en permettant à son leader de se présenter à la magistrature suprême sans limites de mandats. La mesure a été relayée par les médias comme une simple information, alors que prise sous d’autres cieux, elle se serait transformée en procès sur le recul démocratique et la dérive autoritaire. La raison est fort simple, il y a longtemps que les observateurs ont compris que le miracle chinois tenait à d’autres facteurs que la forme du régime ; les réformes introduites par le successeur de Mao Zedong ont mis définitivement le pays sur la voie du progrès ; le reste n’est que du cosmétique.

21 Mars 2018 À 19:35

Le réveil du Dragon
Il y a moins d’un siècle, la Chine était un pays pauvre plongé dans les ténèbres du moyen âge ; les multiples contacts avec les pays occidentaux au lieu de l’en sortir, n’ont fait que l’y foncer davantage. La révolution communiste conduite par Mao Zedong a permis à l’Empire du Milieu de réaliser des avancées significatives dans l’enseignement de masse, la santé et l’espérance de vie, l’industrialisation lourde et la militarisation, la réforme agraire et la révolution culturelle. Le bilan des années du père de la Chine moderne est assez contrasté. Les victimes de ses différentes politiques, particulièrement la politique du «grand bond en avant» (industrialisation) la révolution culturelle, se chiffraient en plusieurs dizaines de millions de morts (entre 40 et 70 millions), soit l’un des bilans les plus lourds de l’histoire en vies humaines. À son décès en 1976, la Chine était certes une grande puissance internationale, mais certainement pas encore le géant économique et financier que nous connaissons aujourd’hui et la pauvreté dans ce pays atteignait encore des niveaux fort élevés. Le décollage économique de ce pays ne fut possible que grâce au programme d’ouverture économique réalisé par le successeur de Mao, le très pragmatique Deng Xiaoping dès 1978. Ce dernier comprit une décennie avant l’effondrement du communisme en 1989, l’impasse dans laquelle se trouvait cette doctrine. Il entreprit l’ouverture de son pays aux investisseurs étrangers et aux échanges commerciaux pour rattraper le retard technologique par rapport à l’occident. Alors que sa sœur aînée la défunte URSS s’engagea en 1979 dans la militarisation offensive en envahissant l’Afghanistan qui accéléra son effondrement douze ans plus tard, la Chine est restée une économie de paix et son armée n’est utilisée qu’à des fins défensives.

Une leçon précieuse que ne manquera de rappeler Jack Ma quand on l’interrogea en marge du forum de Davos en 2017 sur le déficit chronique des États-Unis vis-à-vis de la Chine, il répondit que le marasme de l’économie américaine est à chercher dans les guerres incessantes que mène le pays de l’Oncle Sam dans les quatre coins du monde et qui se font au détriment d’infrastructures sociales dont pourrait profiter le citoyen américain. L’ouverture entreprise par Deng Xiaoping, bien que rapide, fut bien préparée, à l’image de celle des autres pays asiatiques. Ainsi, aux premières années de la transformation de la Chine en une économie de marché, on envoya des dizaines de milliers de jeunes Chinois dans les différentes universités occidentales apprendre deux disciplines principales : les sciences de l’ingénieur et les sciences économiques et commerciales.

Des leçons dont on gagnerait à s’inspirer
Chaque année, le Maroc forme des milliers d’ingénieurs, d’économistes et de gestionnaires et envoie des centaines se former sous d’autres cieux. À l’obtention de leurs diplômes et, pour certains à leur retour au Maroc, le tissu économique s’est tellement tertiarisé (orienté vers les services) que beaucoup d’entre eux préfèrent les carrières prestigieuses dans les métiers de la finance, les carrières confortables dans les administrations ou les carrières à la mode dans l’informatique et les télécommunications (dans leur version grand public et non les versions qui nécessitent un savoir-faire scientifique pointu). Très peu de jeunes vont vers le travail laborieux de l’industrie. Et pour preuve, l’essentiel des créations d’entreprises se fait dans le commerce, l’informatique et les métiers de communication. Quand l’industrie est à l’honneur, c’est souvent dans l’assemblage ou la transformation ne nécessitant pas un effort soutenu de recherche et développement et dans beaucoup de cas, ce sont des investisseurs étrangers ou des filiales de multinationales qui sautent le pas. Le problème à ce stade est double. D’abord, le niveau de formation de nos cadres (ingénieurs ou commerciaux) les situe, selon les standards internationaux, au mieux à des niveaux de techniciens spécialisés.

Ensuite, les secteurs d’accueil à leur sortie de formation les orientent vers les activités de services et très peu vers les industries. Si le Maroc perd annuellement des milliers de postes dans l’industrie, c’est que cette dernière n’attire plus les talents qui lui permettent de rester compétitive. Par ailleurs, la structure de notre tissu économique composée à plus de 97% de PME et de TPE fait que celles-ci adoptent très peu les méthodes modernes de management des entreprises, ce qui les empêche de dépasser le stade artisanal, même dans les secteurs ne nécessitant pas un savoir-faire industriel particulier (commerce de gros, distribution alimentaire, etc.).
Il y a 40 ans que Deng Xiaoping avait compris que les sciences de l’ingénieur et les sciences économiques et commerciales sont les deux disciplines qui constituent le socle sur lequel est bâti tout décollage économique, à condition de les utiliser à bon escient. Les sciences de l’ingénieur permettent de fabriquer des produits et des services innovants et compétitifs, les sciences commerciales permettent de les commercialiser et de gérer les organisations complexes qui les intègrent et les sciences économiques permettent de planifier et d’optimiser l’allocation des ressources à l’échelle du pays les abrite. Ce n’est pourtant pas si compliqué que ça ! 

 

Par Nabil Adel
Nabil Adel est  Chef d'entreprise,
chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur
à l'ESCA - École de Management.

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