8 Mars

Asma Lamrabet : musulmane, féministe et fière de l'être !

En matière de recherche sur le statut et les droits des femmes en Islam, Asma Lamrabet n’en est pas à son coup d’essai. En une quinzaine d’années, elle a publié plusieurs articles et livres sur le sujet.

08 Mars 2018 À 12:41

Femme, musulmane, féministe et fière de l’être… Telle semble être la devise d’Asma Lamrabet, médecin biologiste et chercheuse qui porte la cause de l’émancipation des femmes musulmanes dans son cœur. Avec son sourire bienveillant, sa voix douce et son élégant foulard noué avec désinvolture autour des cheveux, elle peut discourir sereinement, pendant de longues heures, sur des sujets aussi épineux que l’égalité en matière d’héritage, la polygamie, le voile, l’avortement… Qu’on partage ou non ses opinions, l’on ne peut qu’être fasciné par la passion, la foi et la force de caractère qui imprègnent le discours de cette brave femme. Dans sa chasse à ce qu’elle appelle des «idées reçues» et des «interprétations rigoristes» des textes religieux en relation avec la femme, elle use d’une liberté de ton et d’un esprit critique qu’elle a hérités de sa formation scientifique, quitte à fâcher. Elle en est d’ailleurs consciente, puisque son tout dernier ouvrage, pour lequel elle a reçu le Prix Grand Atlas en novembre dernier, porte le titre évocateur de «Islam et femmes, les questions qui fâchent».

«Ces questions fâchent parce que certaines mentalités patriarcales acceptent mal qu’on remette en cause la sacrosainte autorité de l’homme ou sa prétendue supériorité sur la femme. Pour les tenants de ce discours radical, toute la question féminine se réduit au concept de la “qiwama” qui suppose que la femme n’est pas l'égale à l’homme et qu’elle doit vivre sous sa tutelle. Or, après des années de lectures et de recherches sur le sujet, j’ai acquis la ferme conviction que l’Islam n’a jamais été discriminatoire ou injuste envers les femmes, mais ce sont les interprétations faites par les théologiens qui le sont», explique-t-elle dans un entretien accordé à la MAP à l’occasion de la Journée mondiale de la femme. Avec la même assurance et la même sérénité, Asma pousse son raisonnement jusqu'au bout : «Dans le fiqh même, il y a ce qu’on appelle les finalités (al maqassid) de la religion, une règle qui veut que toutes les injonctions et tous les préceptes de l’Islam aient pour ultime objectif de servir l’intérêt des fidèles “al maslaha achcharîya” et de réaliser la justice dans la société musulmane. Il y a donc, à mon avis, un décalage entre le texte sacré et la lecture que lui ont fait subir les hommes de la religion des siècles durant. D’où l’importance de revenir à la source, au Saint Coran et à la Sunna, pour procéder à une nouvelle lecture juste et éclairée qui prend en considération les nobles finalités de la religion». 
La chercheuse affirme avoir écrit ce livre non pas pour fâcher ou provoquer, «mais au contraire pour apaiser et démontrer qu’on peut trouver, à l’intérieur même de notre culture et de notre religion, des solutions à une grande partie des problématiques qui se posent par rapport à la condition de la femme». En matière de recherche sur le statut et les droits des femmes en Islam, Asma Lamrabet n’en est pas à son coup d’essai. En une quinzaine d’années, elle a publié plusieurs articles et livres sur le sujet, dont «Musulmane tout simplement» (2002), «Aïcha, épouse du Prophète ou l'Islam au féminin» (2004), «Le Coran et les femmes : une lecture de libération» (2007) et «Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ?» (2012). Ces travaux de recherche sont, en effet, l’aboutissement d’une longue «quête personnelle» qu’Asma a entamée dès son jeune âge.
Élevée dans un milieu «nationaliste, mais imbu d’idées progressistes», elle affirme que son éducation était loin d’être traditionnelle. «Contrairement à l’esprit de l’époque, mon père tenait absolument à ce que je fasse mes études et aie un travail. Paradoxalement, autant il était ouvert d’esprit de ce côté-là, autant il tenait des positions plutôt conformistes par rapport à la place et aux droits de la femme musulmane. Pour lui comme pour la plupart de ses congénères, une “bonne musulmane” doit être docile et ne doit pas se poser trop de questions».

Cette perception de la femme, en vogue dans la société de l’époque, a piqué au vif la curiosité de la jeune Asma qui voulait savoir si celle-ci trouvait racine dans la culture, dans la tradition ou bien dans la religion. Elle a alors pris son bâton de pèlerin pour entamer une longue et profonde quête scientifique, à la recherche de la vérité sur le statut de la femme en Islam, entre réalité et mythes. Une recherche qui a duré tout au long de son séjour en Amérique latine où son mari occupait un poste de représentation diplomatique. En parallèle avec son travail en tant que médecin bénévole, Asma faisait beaucoup de lectures, à commencer par le Saint Coran, la Sunna du Prophète et en passant par les «tafassir» (exégèse du Saint Coran) et les ouvrages d’histoire et de Fiqh. À ceux qui critiquent ses positions et y voient une «ingérence» dans des questions purement religieuses, Asma répond que «sans prétendre être une Alima ni m’adonner à la Fatwa ou au prêche, je suis une chercheuse et, avant tout, une musulmane pratiquante qui respecte sa culture, mais qui, en même temps, porte un regard critique sur sa condition, sa place dans la société, ses droits, etc. Ce droit à la réflexion et à la critique ne peut m’être dénié seulement parce que je ne dispose pas de diplôme d’études islamiques et que j’ai fait mon éducation religieuse sur le tas, d’une manière autonome 
et autodidacte». 

Pour Asma, c’est cet esprit critique qui fait défaut aujourd’hui chez des savants qui ont tendance à vénérer, voire sacraliser, «une lecture rigide et rigoriste» de la religion islamique qui date de plusieurs siècles. «Or j’estime qu’en dehors des textes sacrés, qui sont la source première de la religion, toutes les interprétations faites par les théologiens peuvent être soumises à la réflexion et au débat, dans le total respect de l’autre», fait-elle valoir. Pour ce qui est de la situation de la femme marocaine, la chercheuse, qui dirige le Centre des études féminines en Islam relevant de la Rabita Mohammadia des oulémas, note que le Maroc présente «un modèle extraordinaire» d’émancipation de la femme, unique en son genre dans le monde arabo-musulman. Les femmes marocaines ont ainsi de plus en plus accès à leurs droits, investissent tous les domaines de travail et participent à la gestion de la chose publique. «Force est de constater, pourtant, que le discours religieux n’évolue pas dans le même sens. Lorsqu’on entend certains savants et prédicateurs clamer qu’une bonne femme musulmane, par exemple, ne doit pas travailler et doit rester à la maison au service de son mari, l’on se rend compte du hiatus qui existe entre le discours religieux et les mutations profondes qui s’opèrent dans la société marocaine», fait-elle observer. Tout en se félicitant de l’existence d’une réelle volonté, au plus haut sommet de l’État, de favoriser l’émancipation de la femme marocaine, comme en témoignent les grandes réformes accomplies sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI (la Moudawana, la nouvelle Constitution qui a consacré la parité homme-femme et, tout récemment, l’ouverture du métier des adouls aux femmes), Asma Lamrabet estime que la balle est à présent dans le camp des hommes de la politique et de la religion qui sont appelés à contribuer à la consécration de la culture de l'égalité. Sur la question de l’équilibre difficile qu’il faudrait trouver entre obligations familiales et professionnelles, Asma, mère d’un garçon, souligne que les femmes ont «un surplus sur l’homme qui réside dans leur capacité formidable d’accomplir plusieurs tâches en même temps». «Qu’elle soit rurale, citadine, employée ou mère de famille, la femme marocaine sait courir plusieurs lièvres à la fois. 
Entre les tâches ménagères, l’éducation des enfants, les responsabilités professionnelles ou le travail au champ, elle doit savoir organiser son temps et mobiliser toute son énergie pour répondre à ces diverses sollicitations», souligne-t-elle. Souvent, cela ne relève pas d’un choix, mais plutôt d’un devoir, d’un sacrifice que la femme, généreuse, passionnée et méticuleuse par nature, s’impose parfois elle-même. Bien évidemment, mener ce parcours du combattant tous les jours n’est pas un pur délice, surtout si les hommes sont aux abonnés absents, admet-elle, soulignant l’importance de procéder à une répartition des tâches entre les conjoints qui permette d’alléger le poids des responsabilités confiées à la femme. Car, conclut-elle, l’égalité c’est une culture qu’il faut pratiquer aussi dans nos foyers ! 
Par Meriem Rkiouak - MAP

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