Économie

L’outil de production au centre

Par Nabil Adel Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Le soutien du gouvernement à l’entreprise ne doit pas se borner à en faciliter la création, mais s’assurer qu’elle ait l’accompagnement qu’elle mérite tout au long de son cycle de vie.

21 Février 2018 À 19:16

Au cœur de la bataille pour le développement économique, il y a une réalité à laquelle nous ne pouvons pas rester éternellement indifférents. Sans base productive, il n’y a point de développement. Or si les différents plans sectoriels visaient à combler cette lacune, force est de constater que les résultats, après plus d’une décennie de leur lancement, restent assez mitigés. Si certains secteurs semblent être sur la bonne vitesse de croisière, d’autres traînent encore et leurs réalisations demeurent en deçà de leur potentiel. À l’origine de cette situation, une certaine conception de la politique économique qu’il faut rapidement faire évoluer.

Un appareil conceptuel d’analyse et des politiques économiques inadaptées
Dans une économie moderne, le chômage est résorbé dès lors que les entreprises réussissent à maintenir le fonctionnement de leur outil de production à un rythme proche du plein emploi. Pour atteindre cette situation magique de plein emploi, les marchés, tant de biens et de services que du travail, doivent fonctionner sans entraves. En d’autres termes, il faut que les pouvoirs publics garantissent les trois libertés économiques fondamentales que sont la propriété, la concurrence et l’entreprise. Ainsi, pour permettre un ajustement rapide de l’emploi, compte tenu de la conjoncture économique, le marché du travail doit être le moins rigide possible et la réglementation doit imposer le moins de contraintes (salaire minimum, licenciement, recrutement, coût du travail, etc.). Quand le marché n’arrive plus à assurer le plein usage des capacités de production dans une économie, c’est à cette condition uniquement que l’intervention de l’État à travers la dépense publique est souhaitable. Le but étant de donner un stimulus aux entreprises. En remplissant leurs carnets de commandes, l’État les pousse à investir et à créer des emplois, dont ils peuvent se séparer aisément en cas de nouveau cycle de récession et ainsi de suite. Par conséquent, moins on met d’entraves au fonctionnement des marchés (biens et services et travail), plus on favorise l’emploi, même si ces entraves ont pour finalité de protéger la partie faible dans le contrat de travail, à savoir le salarié. La seule condition à ce cercle vertueux est que l’économie dispose déjà d’un tissu productif compétitif. Quand ce n’est pas le cas, à l’instar des économies en développement comme le Maroc, la politique économique doit être fondamentalement différente et doit d’abord viser à doter le pays de cette indispensable base productive. Notre problème dans ce pays est que nous voulons résoudre par des instruments de politique économique conjoncturelle, des problèmes structurels que nous trainons depuis plus d’un siècle.

La réflexion sur le nouveau modèle de développement doit intégrer une reconfiguration du rôle de l’État
Le Maroc arrivera à venir définitivement à bout de ce mal endémique qu’est le chômage et qui ronge notre jeunesse quand les responsables de la politique économique mettront en place un appareil de production compétitif et diversifié. Ce sont la réflexion et l’action autour desquelles doit être structurée toute réorientation de notre politique de développement. Le travail a déjà commencé avec les différents plans sectoriels, notamment les trois projets phares que sont le Maroc Vert pour l’agriculture, le Plan Azur pour le tourisme et le Plan d’Accélération Industriel pour certaines industries de transformation, mais les résultats tardent à venir. Ceci est, somme toute, assez compréhensible s’agissant de transformations économiques structurelles. Mais, là où les limites sont assez notables, c’est qu’en dépit de leur lancement il y a plus d’une décennie, les premiers changements devant intervenir au bout de cinq ans comme l’annonçaient les promoteurs de ces plans peinent à voir le jour. Loin des transformations radicales que nous sommes en droit d’attendre, ce ne sont même pas encore des gains rapides à minima que nous observons. Et pour preuve, les chiffres de défaillances des entreprises, en croissance de deux chiffres ces 5 dernières années, confirment ces appréhensions. L’absence de cette machine productive nous coûte non seulement quelques points précieux de croissance annuelle de notre PIB et limite la capacité de notre économie à créer des emplois, mais nous prive des fabuleuses opportunités que recèlent les différents accords de libre-échange que nous avons signés avec des partenaires assez prometteurs (États-Unis, Union européenne, Turquie, pays arabes, etc.). Le soutien du gouvernement à l’entreprise, seule à même de nous doter de cet appareil productif, ne doit pas se borner à en faciliter la création, mais s’assurer qu’elle ait l’accompagnement qu’elle mérite tout au long de son cycle de vie, à travers quatre familles de mesures : accompagnement dans l’accès aux marchés, facilitation des relations avec les administrations, accès au financement et qualification du capital humain. Enfin, dans cette phase critique de notre développement où nous cherchons le modèle qui nous convient le mieux, il est important de demander à l’État d’intervenir davantage dans l’économie. Contrairement à ce que nous avons exposé en début de cette chronique, l’État ne doit pas se limiter à assurer le bon fonctionnement du marché et à donner un stimulus aux entreprises en cas de crise, il doit, aux côtés de son rôle d’État stratège, intervenir plus directement en tant qu’investisseur dans les secteurs identifiés comme prioritaires (agriculture, tourisme et industrie). Cette phase est transitoire et ces unités créées par l’État seront transférées au privé, dès lors qu’elles auront atteint un certain stade de maturité. En mobilisant une partie de la dépense publique, en orientant les crédits à l’économie et en attirant les talents vers les secteurs stratégiques, l’État en accélère le déploiement. Sans cette base productive, nous continuerons à moudre, mais sans grain. 

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