Économie

L’imposition progressive : c’est le radar qui fait peur

En appliquant l’imposition progressive au titre de l’IS, le gouvernement vise à introduire plus d’équité fiscale entre les différents types de revenus, avec une prime à la transparence. Ce qui devait se traduire par un «rush» au niveau des entreprises pour saisir l’aubaine fiscale a eu in fine un impact assez limité. Et pour cause, beaucoup d’entre elles préfèrent rester loin des projecteurs, en contrepartie desquels cette prime est octroyée. Comme à l’accoutumée, on pense que face à des problèmes complexes, on n’a besoin que de quelques mesures techniques. Si seulement, gouverner était aussi simple !

Beaucoup d’entreprises ont peur d’opter pour une forme de société plus structurée et, du coup, commencer à apparaître simultanément dans tous les radars de l’État (impôts, sécurité sociale, changes, douanes, fraudes, etc.).

14 Février 2018 À 20:12

Une mesure salutaire
L’une des mesures phares de la loi de finances 2018 est l’introduction de l’imposition progressive au titre des bénéfices des sociétés, au lieu d’un taux marginal unique. Cette résolution réalise un ancien vœu de certains économistes, fiscalistes et hommes d’affaires, à savoir le même traitement fiscal des revenus quelle que soit leur nature (capital, travail, foncier, etc.). 
Il n’est, en effet, pas très équitable que 100 dirhams de revenus issus du capital soit imposés différemment que 100 autres dirhams de revenus issus du travail ou du foncier. Si la mise en place de l’IS progressif brise le tabou, elle ne garantit, toutefois, pas encore l’équité totale entre les deux types d’impôts ; les barèmes restant toujours différents entre Impôts sur les revenus (IR) et Impôts sur les sociétés (IS) au profit de ces derniers. Mais, c’est un premier pas dans le bon sens et il faut le saluer.

… mais insuffisante…
L’imposition progressive, comme nous l’avons déjà signalé, obéit à un impératif d’équité fiscale, mais surtout celui de la prime à la transparence associée à la société de capitaux. 
La décision a donc pour visées d’élargir l’assiette fiscale dans la perspective de réduire davantage les taux marginaux d’imposition (conception néolibérale de la fiscalité) et d’intégrer dans le circuit fiscal ce fameux secteur informel. Toutefois, en dépit de cette prime généreuse à l’IS, il n’y a pas eu de bousculade de la part des entreprises à opter pour ce régime. 
Ainsi selon les chiffres de la Direction générale des impôts, sur 578.000 entreprises individuelles qui déclarent au fisc, moins de 6.500 ont opté pour une forme ou une autre de société de capitaux les plus usuelles (SA ou SARL), et ce, depuis 2011. Par ailleurs, sur les 12.800 sociétés de personnes en activité, celles ayant opté pour l’IS n’excèdent pas les 315. Tout se passe comme s’il y a une prime cachée à rester dans le régime de l’IR qui excède l’effort consenti par l’administration fiscale, encourageant l’IS.

… car le problème est paradoxalement fiscal…
Si la prime au passage à l’IS peut sembler assez généreuse, elle est insuffisante. Il faut agir sur un autre levier fiscal pour que la mesure soit réellement incitative. Ainsi, un entrepreneur dans l’informel réaliserait une économie fiscale s’il opte pour l’IS, mais devra supporter une charge fiscale plus importante, sauf que cette fois-ci elle sera sur ses ventes, sous forme de TVA. Car bien que celle-ci soit une taxe sur la consommation supportée par le consommateur final d’un bien ou d’un service, il n’en demeure pas moins que les circuits informels, pour vendre à des prix compétitifs par rapport à l’économie formelle, en font un élément du prix de vente. D’où la fameuse question : «voulez-vous avec ou sans facture ?». 
Le passage à une forme d’organisation plus structurée (SARL ou SA) obligera beaucoup de secteurs (notamment dans le commerce, certains services et tous les métiers de paiement au comptant) à augmenter leurs prix à hauteur du taux de TVA, juste pour préserver leurs marges, au risque de perdre leurs clients au profit de concurrents qui auraient préféré rester dans le régime confortable de l’IR. Et si tous devaient répercuter la TVA sur le client final, Bank Al-Maghrib annoncerait des taux d’inflation beaucoup plus élevés que les 1% dont elle se targue à chaque réunion de son conseil d’administration.

… et va bien au-delà
Le choix de l’IR comme régime fiscal, même s’il est économiquement moins avantageux que celui de l’IS, renvoie à la question plus globale de l’informel et de la complexité des relations entre les opérateurs économiques dans notre pays et l’État. En effet, beaucoup d’entreprises ont peur d’opter pour une forme de société plus structurée et du coup commencer à apparaître simultanément dans tous les radars de l’État (impôts, sécurité sociale, changes, douanes, fraudes, etc.). D’autant plus que dans un exercice de chantage fiscal dangereux, certains contribuables mettent en équation ce qu’ils payent comme impôts et ce qu’ils reçoivent comme prestations de la part de 
l’État, particulièrement dans les domaines de l’enseignement, de la santé, de la qualité des infrastructures et des relations avec les administrations.
Dans ce cas, beaucoup préfèrent appliquer le vieil adage : «Vivons heureux, vivons cachés». Or tant qu’on n’aura pas réglé ce problème fondamental de confiance entre l’État et les opérateurs économiques, des mesures aussi salutaires que l’imposition progressive ne feront que réduire les recettes publiques, sans générer l’équité fiscale recherchée, car celle-ci est d’abord une question de perception.

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