Économie

Réforme de l’Administration : Arrêt sur image

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

À l’instar des années du Programme d'ajustement structurel, le suivi des décisions politiques a toujours besoin d'une intervention externe telle que celle du FMI ou de la Banque mondiale.

06 Décembre 2017 À 18:59

Le dernier rapport de la Cour des comptes, et auparavant celui de Bank Al-Maghrib, ont jeté la lumière sur les limites de notre modèle d’administration et son incapacité à relever les défis du développement du pays. Ainsi, à son coût élevé sur le Budget de l’État, s’ajoutent sa faible productivité, la mauvaise qualité de ses prestations et l’absence de mécanismes formels d’évaluation de ses performances. Les maux du titan sont connus et les réformes aussi. Sauf, qu’hier comme aujourd’hui, elles restent dans les tiroirs. 

Les mêmes maux…
«Le dernier rapport de la Banque mondiale est très critique sur la situation au Maroc. Il faut dire que ce rapport sévère avait déjà été précédé par d’autres études non moins alarmantes, touchant aussi bien l’environnement des affaires, les politiques sociales, l’évaluation de l’enseignement ou encore la stratégie économique et financière à moyen terme. Ce rapport reprend ces thèmes et leur ajoute des comparaisons internationales avec des pays ayant entrepris ces réformes et qui les ont réussies. Des comparaisons très peu flatteuses pour le Maroc qui continue, hélas, de cumuler de sérieux retards par rapport à ces pays de comparaison, notamment sur le système éducatif, l'appareil judiciaire, la santé publique, la régionalisation, l'agriculture ou encore le poids de l’administration. D’autre part, à l’instar des années du Programme d'ajustement structurel, le suivi des décisions politiques a toujours besoin d'une intervention externe telle que celle du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale. Selon ce même rapport, il demeure au Maroc un sérieux problème de “political governance”, d’où l’incapacité des membres du gouvernement à se mettre d’accord sur la conception et la mise en œuvre d’une politique. 
Le travail de l’institution de Bretton Woods relève le problème de coordination entre le gouvernement et les différentes administrations. Il donne ainsi l’exemple du personnel administratif qui fait preuve d'une grande indépendance vis-à-vis du pouvoir politique qu'il est censé suivre. 
Le panel des comportements cité, à titre d’illustration, est large. Il va de la prise d'initiatives en dehors de toute instruction gouvernementale, jusqu'au refus par ce même personnel administratif d’assumer des responsabilités ou d’effectuer des missions qui sont dans le cœur de ses attributions, ce qui ressemble davantage à de la résistance passive. Enfin, l'abandon de la planification, sans qu'il y ait eu d'introduction de système d'évaluation de l'efficacité publique a accru ces vicissitudes».
Au fait, le rapport de la Banque mondiale dont il est question n’est pas celui de 2017, mais celui élaboré en 1995 ! Et pourtant, ses conclusions demeurent d’une grande actualité. Tous les débats qui secouent aujourd’hui la sphère publique y sont : administration, éducation, justice, santé, plans sectoriels et gouvernance en général.
Un autre constat du même acabit vient d’être effectué par Driss Jettou au sujet des salaires dans la fonction publique. Ce qui attire l’attention à la lecture du rapport de la Cour des comptes n’est pas tellement le niveau de rémunération élevé de nos fonctionnaires par rapport à la richesse créée par le Royaume ou encore en comparaison avec d’autres pays, mais que cette générosité (toutes proportions gardées) ne s’accompagne pas par la même exigence en termes de productivité ou encore de qualité du service public. C’est ainsi que le rapport constate que «la charge horaire réglementaire n’est pas accomplie d’une façon homogène». Pis encore, enfonce-t-il, «la durée effective de travail dans la fonction publique demeure mal connue». 
Au niveau de l’Éducation nationale, la Cour des comptes note que les absences enregistrées en 2016 avaient atteint un total de 406.890 jours. Ainsi, «une part importante d’enseignants (90% des enseignants du cycle secondaire qualifiant et 74% du cycle secondaire collégial) n’assument pas la charge horaire qui leur est impartie à cause de l’inadéquation entre le déploiement des enseignants et la taille des structures scolaires, déduit le rapport. Il en est de même de la Santé où “une étude avait montré qu’en moyenne 42% du temps de travail du corps médical n’est pas exploité à cause des absences”».

… mais les solutions tardent à voir le jour
Ce n’est ainsi pas faute de projets de réformes que les améliorations ne sont pas visibles, mais de retards dans la réalisation de ces chantiers. Ainsi, selon le rapport des équipes de Driss Jettou, «la fonction publique est appelée à revoir presque toutes ces mesures, dont celle de la mise en place en 2003 d’une nouvelle stratégie de réforme de l’Administration. Après plus de 12 ans, tous ces chantiers demeurent actuellement au stade de projet». 
L’étude souligne, à titre d’illustration, le retard de mise en œuvre de la contractualisation, de la décentralisation administrative ainsi que l’insuffisante mobilité des fonctionnaires. D’autres lacunes sont mises en lumière, telles que la faible qualité du service public et les inégalités d’accès à celui-ci. 
En juin 2016, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, en présentant son rapport annuel, rappelait «encore une fois la nécessité d’évaluer le rendement de ces plans sectoriels, leur phasage et leur cohérence d’ensemble. Cette évaluation devrait être systématique et revêtir un caractère institutionnel, à travers la mise en place de dispositifs ou d’entités dédiées, permettant une analyse ex ante, un suivi régulier et rapproché, pour opérer les ajustements éventuels dans des délais appropriés». Plus globalement, «il a estimé que, pour un meilleur encadrement du développement économique et social de notre pays, la mise en place d’une planification stratégique serait appropriée. Celle-ci permettrait de mieux répondre aux exigences d’une vision globalisée et cohérente, avec une priorisation des objectifs et une optimisation dans l’utilisation des ressources».
Pour conclure leur rapport, les magistrats de la Cour regrettaient en 2017 l’absence de la pratique d’évaluation et l’inexistence de mécanismes de contrôle efficaces au sein de l’administration. Bref, comme en 1995. 

Copyright Groupe le Matin © 2024