Économie

Drame d'Essaouira : La mondialisation n’est pas responsable, au contraire !

À chaque drame humain ou problème économique, on cherche à ce que nos intellectuels nous fournissent des explications. Sauf qu’ils nous désignent des responsables ou, pire, des coupables. Au lieu de nous aider à comprendre, ils nous donnent des réponses toutes faites, faciles à consommer. Le drame d’Essaouira ou la traite d’êtres humains en Libye ont donné à certains «experts» l’occasion d’avancer les explications les plus farfelues. L’ennemi a désormais un nom : hier, c’était la technologie, aujourd’hui, c’est la mondialisation.

29 Novembre 2017 À 19:41

La mondialisation est un outil et non l’origine de nos problèmes
Lors d’une émission sur une radio nationale traitant du scandale de la traite humaine en Libye, l’un des chroniqueurs a assimilé le salariat à une forme d’esclavage moderne aussi brutale que celle de l’esclavage des temps les plus reculés. Le plus inquiétant dans cette analyse est que le chroniqueur a refusé d’utiliser une image et a insisté sur le caractère littéral de la comparaison. Il a ensuite attribué cet esclavage à une dérive ultralibérale et mondialiste. Dans cette tribune, nous ne ferons pas le procès de l’ultra-libéralisme, car nous avons consacré suffisamment de chroniques à la critique de ses dérives et à son caractère dominateur et profondément inégalitaire. Mais, «jeter le bébé avec l’eau du bain» relève davantage de la surenchère démagogique que de l’analyse factuelle. Mettre tous les maux de la terre sur le dos d’une mondialisation que certains abhorrent pour des raisons idéologiques, sans démonstration scientifique, est une exagération dénudée de tout fondement rationnel. La mondialisation, qui est ce mouvement d’ouverture et d’intégration à large échelle des économies, ne peut être tenue pour responsable de l’insuffisante préparation des pays qui s’y sont engagés de gré ou de force. À l’examen des faits, cette mondialisation a bénéficié à beaucoup de pays, notamment ceux en développement. Elle a permis de réduire la pauvreté à grande échelle et d’améliorer le niveau de vie de plusieurs centaines de millions d’habitants sur cette terre. Pour illustrer notre propos, analysons les faits suivants. Entre 1984 et 2014, la population mondiale a progressé en moyenne de 1,8%, alors que le PIB mondial à prix courants (sans tenir compte de l’inflation) a augmenté, sur la même période en moyenne, de 6,7%, soit une nette amélioration du niveau de vie moyen. En l'espace de 30 ans, le ratio de la population pauvre dans le monde (disposant de moins de 1,90 dollar par jour) est passé de 44,3 à 12,7%. Un pays comme la Chine a vu son économie progresser de 12,9% entre 1984 et 2014 contre une croissance de sa population de 0,9% sur la période. Ainsi, l’ex-empire du Milieu a pu éradiquer la misère dans les grandes villes et la réduire sensiblement dans les campagnes. Selon «The Economist», le nombre de ruraux vivant en dessous du seuil officiel de pauvreté, situé à moins de 2.300 yuans par an (396 euros), a chuté de 775 en 1980 à 43 millions de personnes en 2016. De même, un pays aussi peuplé que l’Inde a réussi, grâce à son intégration dans l’économie mondiale, à considérablement hausser le niveau de vie de ses habitants (croissance économique moyenne de 8,5% entre 1984 et 2014 contre une croissance démographique de 1,9%). S’il est vrai que cette mondialisation a considérablement accru les inégalités dans la répartition des richesses, il n’en demeure pas moins que, dans l’ensemble, le niveau de vie a sensiblement augmenté, sauf qu’il a progressé plus rapidement pour certaines classes que la moyenne.

Et le Maroc dans cette tendance ?
Le Maroc n’échappe pas à cette tendance mondiale et fait même un peu mieux que les pays en développement de niveau similaire. En effet, sur la période 1984-2014, le PIB en volume a augmenté de 5,7% contre une hausse de la population de 1,5%. Le revenu moyen a donc été multiplié par 4,75 en l’espace d’une génération, toutes choses étant égales par ailleurs. Pour sa part, le taux de pauvreté a chuté de 15,3% en 2001 à 4,8% en 2014, comme on peut le lire dans l’étude intitulée «Pauvreté et prospérité partagée au Maroc du troisième millénaire, 2001-2014» élaborée par le Haut-Commissariat au Plan. Par lieu de résidence, le taux pauvreté en milieu urbain est passé de 7,6% en 2001 à 1,6% en 2014 ; et de 25,1 à 9,5% en milieu rural. Ainsi, le nombre de pauvres au Maroc est passé de 4.461.000 en 2001 à 1.605.000 en 2014, soit une baisse annuelle moyenne de 8,9%. Ces chiffres montrent le grand chemin parcouru dans la lutte contre la pauvreté, dont l’un des principaux moteurs est le salariat. Il est vrai que dans le monde du travail, il y a de la violence, mais ce n’est pas non plus une jungle où règne la loi du plus fort. La mobilité des salariés, s’affranchissant de la tutelle de patrons incommodes, est de plus en plus une réalité ; et les lois de travail sont là pour protéger les salariés des abus de leurs employeurs.
Certains événements tragiques, tels que la bousculade d’Essaouira, viennent nous rappeler que des poches de vulnérabilité subsistent encore dans notre pays et contre lesquelles il faut lutter sans merci, car il y va de notre cohésion nationale. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que des efforts considérables ont été faits, en la matière. Mais est-ce suffisant pour autant ? Loin s’en faut, mais ne cherchons pas des responsables là où il n’y en a pas. 

 

Par Nabil Adel 

Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant chercheur à l'ESCA - École de Management.

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