Salon international de l'agriculture de Meknès

Une bonne préparation s'impose

L’accord politique pour que notre pays adhère à la Cédéao est désormais acté et il ne manque plus que les démarches techniques pour avoir le statut de membre à part entière. Si ce nouvel espace d’échanges est une aubaine pour l’économie marocaine, une insuffisante préparation risque d’en faire une simple convention supplémentaire sans substance. L’acte d’internationalisation d’une économie ne saurait se borner à des accords qu’on signe, sinon ses dangers dépasseraient de loin ses opportunités. Pour une économie de notre taille, c’est un risque qu’on n’a pas les moyens de supporter.

Le temps est peut-être venu de réfléchir, dans le cadre de la Cédéao, à la création d’une bourse régionale à même de financer le développement de toute la zone.

07 Juin 2017 À 16:55

Un espace prometteur…

L’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao, 16 pays avec le Maroc) sera un pas supplémentaire dans le déploiement du Royaume en Afrique, après son retour à l’Union africaine. Ce passage à la vitesse supérieure vise tout d’abord à intégrer le Maroc à un bloc commercial régional dynamique représentant un PIB de plus de 800 milliards de dollars. Cette adhésion enterre, de facto, la moribonde Union du Maghreb arabe (UMA). Le Maroc ne pouvait, en effet, plus retarder son élan économique, au nom d’une Union des Maghrébins devenue au fil du temps un piège mortel dans lequel on a cherché à l’enfermer. Le grand isolement orchestré par le voisin de l’Est cède désormais la place à une dynamique d’ouverture sur un espace autrement plus important, représentant la vingtième puissance économique mondiale. C’est regrettable, mais le Maroc a des priorités économiques qui ne supportent plus d’être bloquées par les ambitions d’hégémonie dépassées de son voisin de l’Est. Toutefois, cette ouverture ne produira les effets escomptés que si les décideurs du pays disposent d’une vision claire et d’une démarche structurée. Mais au préalable, il faut que le Maroc évite de donner l’image d’un pays prédateur voulant se substituer aux anciennes puissances occupantes. Il y va de la pérennité de sa présence.

L’internationalisation d’une économie est avant tout un acte géopolitique. Ses architectes doivent avoir une lecture réaliste des rapports de force et des facteurs de risques dans les zones où ils veulent voir les entreprises de leurs pays s’implanter. Ceci suppose une réorganisation totale de notre diplomatie qui doit avoir désormais pour mission l’accompagnement des opérateurs économiques dans leurs démarches d’investissements directs ou de prises de participation et la protection de leurs capitaux en leur fournissant des outils adaptés d’analyse et de couverture des risques par pays. Une internationalisation réussie passe également par la création de centres spécialisés de recherche et d’intelligence économique dont la mission est d’orienter les décideurs sur l’attrait de chaque économie partenaire et les opportunités qui s’y présentent.

… qui permet une réorientation de nos relations économiques extérieures

Sur le plan des échanges extérieurs, le Maroc doit développer davantage son commerce régional au sein de cette nouvelle zone de libre-échange et éviter le piège de l’UMA où les accords politiques n’avaient pas été suivis par de la substance économique. En effet, même si nos exportations vers le continent ont considérablement augmenté depuis les années 2000, il n’en demeure pas qu’elles restent largement en deçà du potentiel existant. D’autre part, il est à regretter que le Maroc n’ait pas investi dans la mise sur pied d’une offre exportable suffisamment riche et diversifiée pour saisir les multiples opportunités que présente un continent objet de toutes les convoitises, car il reste l’un des derniers îlots de forte croissance dans le monde.La Cédéao peut représenter un marché porteur pour les produits marocains, mais en l’absence de l’outil national de production et de la stratégie d’exportation, nous ne pouvons répondre à cette demande ni par la qualité, ni même par la quantité à prix compétitifs. L’autre priorité de notre diplomatie économique est d’œuvrer au développement d’une grande zone de libre-échange panafricaine, comme condition de paix et de stabilité pour le continent. Il est grand temps que l’Afrique développe son propre commerce intracontinental, au lieu que chaque pays continue séparément à consacrer l’essentiel de son commerce international à son ancienne puissance colonisatrice. Toujours au chapitre des échanges, le tourisme (commercial ou spirituel) est un créneau intéressant que le Maroc doit développer, en adaptant son offre à un marché africain de plus en plus émetteur et aux besoins fort spécifiques qu’il faudra scruter pour mieux s’y adapter. Il y a également lieu de promouvoir Casablanca, en tant que capitale ouest-africaine de la finance, grâce au grand projet Casablanca Finance City et à un marché financier marocain, certes ayant besoin de beaucoup de réformes, mais demeurant l’un des plus importants et des plus matures du continent. Le temps est peut-être venu de réfléchir, dans le cadre de la Cédéao, à la création d’une bourse régionale à même de financer le développement de toute la zone.

Enfin, pour se différencier des grandes puissances ayant toutes des appétits aiguisés sur le continent, l’approche du Maroc ne doit pas être d’exercer une quelconque influence, mais de développer des relations économiques (échanges commerciaux, tourisme et investissements) et spirituelles (formation des imams, aura du Commandeur des croyants, influence des zaouïas, etc.) riches et équilibrées avec tous les pays africains. L’adhésion à la Cédéao est un événement d’une grande importance, mais sa réussite dépendra de la manière dont notre diplomatie gérera cette phase critique, où les adversaires ne manqueront pas de vouloir briser cet élan par tous les moyens. Cette décision politique est une belle opportunité pour notre pays, alors ne la transformons pas en un énième accord de libre-échange sans impact sur notre économie ! 

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.n.adel@ceteris.ma

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