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Réglementation des assurances : Asymétrique protection

La tutelle de l’État sur le secteur des assurances vise en premier à garantir la protection des assurés contre l’insolvabilité des assureurs. Les opérateurs se rappellent que les assurés furent les premières victimes de la liquidation des cinq compagnies d’assurances en 1995. Or à la lumière des ajustements réglementaires récents, on est amené légitimement à se reposer cette question censée, pourtant, être évidente. Et pour cause, on donne l’impression que dans ce secteur, on est plus motivés par le renforcement des compagnies que par la protection des assurés.

La nouvelle réglementation des assurances a mis tous les intermédiaires en émoi.

10 Mai 2017 À 18:20

La protection par la loi de l’assuré trouve son essence dans le caractère même du contrat d’assurance, qui est un contrat d’adhésion. En d’autres termes, on n’en négocie pas les clauses. Elles sont pour la majorité des assurés à prendre ou à laisser. L’assuré est donc la partie faible au contrat et doit donc être protégé par une instance publique. Cette protection est la garantie que l’assureur est toujours en situation financière de servir les prestations promises en contrepartie de la prime encaissée pour couvrir un certain risque. Or il semble que nous ayons oublié ces principes de base dans notre réglementation.

Délais de paiement des primes : le déséquilibre

La nouvelle réglementation des assurances a mis tous les intermédiaires en émoi. En effet, elle leur a imposé des délais très sévères d’encaissement et de reversement des primes aux compagnies. Cette mesure choque pour plusieurs raisons. D’abord, que vient faire la loi dans la fixation d’une clause contractuelle (délais de paiement) entre trois opérateurs privés (assuré, intermédiaire et assureur) ? Ensuite, pourquoi la loi ne fixe-t-elle pas les mêmes contraintes de délais aux compagnies d’assurances pour le paiement des sinistres et des prestations ? Pis encore, plus les délais de paiement sont longs, plus les compagnies placent l’argent des assurés sur le marché financier et engrangent des revenus qui constitueront l’essentiel de leurs bénéfices. Or au moment du paiement des sinistres (parfois plusieurs années après leur survenance), les assurés ne bénéficient aucunement de ces produits financiers. L’équité financière vis-à-vis des assurés, faute de défense de leurs intérêts, aurait voulu qu’on les rémunère pour cette attente. Mais là, la loi est étrangement muette !

Tarif Automobile : de la parafiscalité pour doper les bénéfices

L’assurance Responsabilité civile en Automobile (RC Auto) est obligatoire et c’est normal. Sans cette obligation personne ne pourrait circuler, car rares sont ceux qui pourront financer de leurs propres deniers les dommages qu’ils pourront causer à autrui. Ce qui est, en revanche, anormal est que cette parafiscalité devienne la principale source des bénéfices du secteur. En d’autres termes, sur les 29 branches d’assurances autorisées au Maroc, la branche RC Auto a réalisé 66% des résultats du secteur en 2015 et les 28 autres branches se sont partagé le tiers restant. Et cette poule aux œufs d’or, cette branche miraculeuse, est obligatoire. La prime de la RC Auto au Maroc est 1,5 fois celle de la Tunisie et presque la même qu’en France ! Quand on sait qu’en Chine, il est interdit de réaliser des bénéfices sur cette branche, car elle est obligatoire (sorte de parafiscalité), on comprend ce que signifie réellement la protection des assurés. Ce qui est encore plus anormal, c’est qu’au Maroc, on paye la même prime RC Auto partout, au vu et au su de tout le monde, sans que l’on soupçonne la moindre entrave aux lois de la concurrence.

Taux maximum garanti : la magie

L’un des avantages des contrats d’assurance en cas de vie était que l’assureur garantissait un taux minimum de rendement à l’épargne des assurés, quels que soient les rendements qu’il réalise. C’était un avantage indéniable pour les clients qui pouvaient projeter leurs revenus minimums au terme du contrat sur la base de ce taux. Or depuis quelques années, ce taux minimum est devenu un taux maximum au Maroc (les initiales restent les mêmes, TMG). Concrètement, cela signifie que les compagnies d’assurances ne garantissent rien aux assurés si elles dégagent des rendements nuls, mais qu’elles continuent à partager avec eux leurs bénéfices si elles réalisent des rendements positifs. On a, par effet d’asymétrie, enlevé la pression sur les assureurs et on l’a reportée sur les assurés. Les assureurs n’ont plus rien à perdre, mais partagent les gains des assurés, alors qu’auparavant, ils mettaient leurs fonds propres en jeu, en cas de déficits de placement. Cela avait pour principale conséquence de discipliner le secteur quant à la gestion des placements en bon père de famille.

Takaful : la moitié du billet

Imaginons qu’au moment de leur agrément, on ait exigé des banques participatives au Maroc de collecter les dépôts, mais pas de distribuer les crédits ou encore de pratiquer le financement d’équipement, mais pas le financement de l’immobilier ou de la consommation. On trouverait ça pour le moins étrange. Et pourtant, c’est exactement ce qu’on prévoit pour les compagnies d’assurances Takaful. Elles auront le droit de pratiquer les opérations d’assurances de personnes (Accidents et Vie), mais pas les opérations d’assurances-dommages (couverture des biens et des responsabilités) qui sont, comme par hasard, les plus profitables (plus de 85% des bénéfices en 2015). Un client pourra donc se financer, placer, assurer sa vie et son corps contre les accidents conformément à ses valeurs, mais pour protéger son patrimoine, il doit adopter d’autres valeurs. Si ce n’est pas de la schizophrénie, ça y ressemble beaucoup ! Si le secteur marocain des assurances est l’un des plus avancés et des plus solides de la zone, c’est grâce aux réformes entreprises depuis plus de deux décennies. Il est désormais en phase d’expansion en dehors des frontières et il est temps de rendre la relation assuré/assureur plus symétrique. 

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