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Gérer les caprices de stars !

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.n.adel@ceteris.ma

Si les dirigeants reconnaissent l’importance de l’élément humain dans la prospérité de l’entreprise, très peu sont prêts à faire ce qu‘il faut pour attirer les meilleurs, à savoir admettre qu’ils ont affaire à des stars et agir en conséquence.

22 Mars 2017 À 19:44

Les entreprises auront de plus en plus de mal à recruter et à fidéliser les talents et les hauts potentiels, tant ce qu’elles ont à leur offrir est en total décalage avec leurs aspirations. Aujourd’hui, beaucoup de brillants candidats déclinent les offres d’entreprises qui n’ont à proposer que le salaire, un travail routinier et les perspectives d’une retraite. La nouvelle génération de cadres de haut niveau cherche d’abord l’épanouissement individuel, l’équilibre entre vie de famille et vie professionnelle et une rémunération qui tient compte de la valeur qu’ils créent réellement. Voilà comment les entreprises doivent préparer cette mutation.

Le mode de management : tuer le Chef !

Les collaborateurs passent en moyenne plus de temps dans l’entreprise qu’avec les leurs. Or dans un environnement de plus en plus concurrentiel, où les clients sont difficiles à satisfaire et où les investisseurs veulent toujours plus de profit, le mode de management au sein de l’organisation joue un rôle moteur dans sa capacité à réaliser des objectifs aussi difficiles à atteindre et à maintenir. Si certaines d’entreprises réussissent ce concours brillamment, d’autres traînent systématique des résultats faibles ou irréguliers. La différence est dans le mode de management. Or celui-ci, hérité des organisations pyramidales du 19e siècle et fondé sur le commandement quasi militaire et les liens de subordination entre employeurs et employés, exerce un effet de révulsion sur les bons candidats. Ceux-ci ne veulent plus être de simples exécutants pendant une longue carrière, jusqu’au jour où l’un d’entre eux (pas forcément le plus compétent) accèdera au poste de pouvoir qui lui permettra enfin de commencer à prendre des décisions. Nous rencontrons régulièrement de hauts cadres incapables de se faire livrer une pizza, sans l’autorisation du DG. Ce superman qui gère tout dans l’entreprise, de la stratégie au design des cartes de visite, relègue l’ensemble de ses collaborateurs, au mieux, à un statut de conseillers dont l’avis ne l’engage nullement et, au pire, à celui de simples exécutants.

Cette perspective de carrière de n’avoir aucun poids réel dans le processus de décision est de nature à vider l’organisation de ses meilleurs éléments. Elle devient pour eux une escale en attendant de meilleures offres ailleurs. Quand les dirigeants se plaignent de ne pas trouver les compétences qu’ils cherchent, même s’ils offrent des packages attractifs, la réponse n’est pas dans le manque de compétences, mais dans l’incapacité de l’entreprise à les attirer. Alors que certaines entreprises offrent un environnement de travail stimulant et encouragent l’innovation et la création, au risque de commettre des erreurs, d’autres restent figées sur la fiche de paie, sur le pointage à l’entrée et la sortie et sur le contrôle strict du travail de tous. Les managers doivent remettre en question leur style de management et admettre que certains de leurs collaborateurs peuvent être plus compétents qu’eux ; et que l’une de leurs missions est de rendre l’entreprise un endroit où il est agréable de travailler.

Package de rémunération : de qui se moque-t-on ?

L’une des grandes naïvetés des dirigeants est de penser qu’ils peuvent recruter et maintenir les meilleurs, en offrant le package classique de rémunération qu’ils croient attractif. Celui-ci se réduit à un bon salaire, une promesse d’augmentations, éventuellement des primes, une couverture maladie et une retraite après plusieurs années de bons et loyaux services. Si pour beaucoup de salariés (surtout ceux en début de carrière ou ceux aux profils standards), c’est déjà largement suffisant, pour les meilleurs ce n’est même pas le minimum. Un brillant ingénieur, un talentueux commercial ou un bon financier qui participent activement à ce que l’entreprise gagne des millions, voire des milliards, ne peuvent se résigner à percevoir un salaire fixe, fut-il bon, sous prétexte que les bénéfices appartiennent aux actionnaires, dont une bonne partie ne met les pieds dans l’entreprise qu’à l’occasion des conseils d’administration, soit quatre fois par an pour les structures les plus avancées en matière de gouvernance. Les hauts potentiels veulent être rétribués, en fonction de la valeur qu’ils créent, au lieu de la misère d’un salaire fixe qui évolue, selon l’humeur du patron.

Ce partage de la valeur entre les investisseurs et les collaborateurs, même s’il a été tranché en faveur des premiers depuis le triomphe du dogme libéral, est la ligne de démarcation future entre les entreprises qui attireront et fidéliseront les meilleurs et les autres. La tendance a connu ses débuts avec les différents systèmes d’actionnariat salarial, les régimes de participation des salariés aux fruits de la croissance, ainsi que les stock-options (système de rémunération variable qui permet à des dirigeants et à des salariés d'une entreprise d'acheter ses actions à un prix fixe déterminé à l’avance avec une décote ; et de les vendre à une date fixe ultérieure, ce qui présente l'avantage d’inciter les collaborateurs à performer pour faire monter le cours de l'action et donc bénéficier de plus-values).

Toutefois, le mouvement demeure timide, limité à de grandes sociétés, souvent cotées, et surtout laissé à la libre appréciation des actionnaires. Et même dans ce cas, le système ne tient pas compte de la valeur réellement créée par les employés (souvent la participation porte sur une part insignifiante de celle-ci) et le partage reste confiné aux hauts cadres de l’entreprise. Si les dirigeants reconnaissent l’importance de l’élément humain dans la prospérité de l’entreprise, très peu sont prêts à faire ce qu‘il faut pour attirer les meilleurs, à savoir admettre qu’ils ont affaire à des stars et agir en conséquence. C’est insupportable pour leurs égos et c’est la raison pour laquelle peu réussissent dans ce domaine.

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